"L’Etrange Couleur des larmes de ton corps balaie en partie les doutes. Toujours campés sur leur univers horrifique fétiche, Hélène Cattet et Bruno Forzani radicalisent leur position et affinent leur style. A partir d’un récit sommaire (...), ils déploient une vénéneuse atmosphère de cauchemar lynchien prétexte à une déferlante d’images fantasmatiques.
Pendant près de deux heures, frisant parfois la surchauffe, le film collectionne les morceaux de bravoure graphiques, visions hallucinées de meurtres, tortures et délires psychotiques inspirées par Dario Argento ou Jess Franco.
Recourant au split-screen et à toute la gamme des filtres de couleur, le duo Cattet-Forzani applique finalement à l’imagerie bis la même formule que Brian De Palma destinait à l’œuvre d’Hitchcock : falsifier un cinéma, en isoler les motifs, les effets, pour inventer sa propre langue.
Ici, le fantastique et l’horreur n’existent plus que comme des signes épars (un cri, un gant, une lame de rasoir) convoqués en tant que puissants moteurs d’émotion dans un film-trip dont l’unique dessein est d’affoler les sens, de provoquer un vertige à la fois suave et morbide.
Rarement, ainsi, le lien implicite entre cinéma d’horreur et porno n’aura été plus sensiblement incarné : dans ce film, la déchirure des chairs infligée par un couteau est une pénétration, les corps martyrisés saignent et jouissent indifféremment.
L’Etrange Couleur des larmes de ton corps n’apporte donc aucune réponse définitive sur l’avenir de ses auteurs, que l’on imagine mal se sortir de leur obsession fétichiste du genre, mais il constitue en l’état une expérience unique réhabilitant la vitalité transgressive et pulsionnelle du cinéma d’horreur."
Romain Blondeau