" Young Soul Rebels, premier long métrage de fiction d’Isaac Julien, s’ouvre par une balade nocturne dans les fourrés d’un parc londonien : un long travelling qui marche à la vitesse d’un dragueur, ralentissant le pas, jusqu’à musarder, quand la lueur d’une cigarette perce l’obscurité, accélérant au contraire sa cadence quand il n’y a rien à voir, rien à espérer, ou lorsque l’obscurité fait trop peur à regarder. C’est à la flamme des briquets qu’on réalise que ce sont des hommes qui rôdent dans cette pénombre : celui-ci plutôt cuir (chaînes et casquette) et celui-là plutôt noir de peau. Plutôt celui-là que celui-ci, d’ailleurs.
Pourquoi ? Parce que ce garçon noir ainsi repéré n’a pas encore d'identité précise mais déjà une radiocassette juchée sur l’épaule, qui diffuse de la musique soul. Un type qui drague en musique, il y a de quoi en effet s’intriguer. Le film, à l’unisson de cette curiosité, ne s’intéresse plus qu’à lui, le suit à l’écart, se poste à quelques mètres de l’arbre où il s’est appuyé. Mais on sent déjà, caméra subjective, qu’on n’est plus les seuls à le considérer. Qu’un autre corps d’homme à pris la place du voyeur. On était partenaire, on redevient spectateur.
(…) Young Soung Rebels est un film d’époque, précisément situé en cet été 1977 où la Grande-Bretagne fêtait avec faste le jubilé d’argent de la reine. A droite, une immense majorité extatique de sujets de sa Gracieuse. A gauche, une toute petite minorité protestataire, politiquement radicale ou musicalement outrageante: le punk prospère et les Sex Pistols sortent leur Anarchy in The U.K. Et au milieu ? : les jeunes Chris et Caz, dise jockeys d’une station de radio pirate, Soul Patrol, toquée de musique funk.
(…) Conflit en période pré-Thatcher, homosexualité interraciale, lutte des sexes contre lutte des classes, on aura compris que dans le registre très britannique du film socio-politique (dont My Beautiful Laundrette de Frears ou Riff-Raff de Ken Loach sont les emblèmes majeurs), Young Soul Rebels est une réussite de plus, tout à fait typique du genre : sûreté de son bon droit et basta sur la subtilité.
Ce qui ne veut pas dire qu’Isaac Julien remet le couvert exactement à la place où un Frears l’avait déjà dressé. La piste originale et, à vrai dire, la plus passionnante est celle de la funk musique comme protestation, tâche qui à l’époque semblait plutôt réservée au punk ou au reggae qui eux-mêmes considéraient le funk-soul-disco comme il est dit dans le film: au choix, comme une musique de gonzesses ou comme un avatar de la variété capitaliste. L’amitié chahutée mais finalement indestructible de Chris et Caz se renouera autour de la musique soul: un appel au mélange politique, racial, sexuel, culturel autrement plus encourageant et rebelle que la quête d’une identité bloquée. Et en plus, ils (Chris-Valentine Nonyela, Caz-Mo Sesay) sont beaux."
Gérard Lefort, 08/04/1992