"Auteur de formidables courts (compilés en salles sous le titre narquois Réussir sa vie), d’exquises opérettes télévisuelles sur fond vert - que presque personne n’a vues, hélas -, de chroniques désopilantes çà et là, et, en guise de véritable premier long métrage, d’une ambitieuse et inégale satire bunkérisée de la com pol (Gaz de France), Benoît Forgeard plante sa panoplie caustique sur les terres de la rom com avec Yves, énième histoire française de triangle amoureux, mais un love triangle bizarre et inclusif, comportant pour une fois, et c’est pas trop tôt, un frigidaire.
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Digital Cool (soit «numériquement frais» en ancien français), est le nom de la marque de smart-éléctroménager («ce qu’on a inventé de mieux depuis l’amitié») qui dote le héros d’Yves-le-film d’un régrigérateur intelligent, Yves-le-frigo, lequel prend vite en charge toute facette défaillante de sa vie de jeune rapeur-loser : alimentation, relations, création, etc. Et c’est donc là aussi la notice, idéale de concision, de tout ce que l’on peut trouver à Yves à la fois d’attrayant et d’un peu corseté dans un programme dont l’entêtement à étendre sa logique à toute composante du film entrave son déploiement dans une incarnation chaleureuse.
Farce terriblement drôle et sentie dans ses moindres recoins sur l’enfer relax de la vie algorithmique, et satire climatisée de la climatisation sous couvert de dynamitage loufoque des archétypes du genre, Yves est en tout point «cool», et apparaît en même temps enserré dans la dureté froide et coupante du «digital», comme disent les promoteurs not so cool d’un horizon d’opportunités décontractées du pixel. Si bien qu’épousant jusqu’au bout de l’absurde le point de vue de la machine, le film préfère prêter âme et génie aux choses que sensualité à ses personnages et idées, quitte à ce que tout son brio crépitant sous cloche développe, à la longue, un léger goût de frigo - férocement smart, au demeurant."
Julien Gester