Diplômée de la Femis comme directrice de la photographie (ce qu'elle fait pour trois courts métrages au début des années 90), elle se lance très vite dans la réalisation et signe en 1995 En avoir (ou pas), qui n'est pas une adaptation du roman éponyme d'Hemingway, mais l'histoire, réaliste, d'une dérive, celle de Sandrine Kiberlain, qui trouve là son premier grand rôle : perdant son travail dans le Nord, elle descend vers le Sud, s'arrête à Lyon pour trouver du travail, y rencontre un ouvrier du bâtiment. Des trajets solitaires qui se croisent, on en a déjà vu mille sur les écrans, et ce n'est pas l'originalité qui retient ici l'attention mais la qualité de recréation d'un milieu social et la juste tonalité qui accompagne le désarroi de ses personnages : le film récolte deux prix à Berlin en 1996 et fait attendre avec intérêt le titre suivant.
En 1998, pour À vendre, elle reprend Sandrine Kiberlain, de nouveau en rupture et en dérive, qu'un détective privé va suivre dans ses déplacements erratiques, afin de tenter d'expliquer sa fuite à la veille de son mariage. Si la surprise n'est plus aussi forte, le film séduit par les mêmes qualités que le précédent, l'empathie qu'on devine chez la cinéaste pour son héroïne et la force du background – l'environnement provincial saisi au plus près. S'y fait jour cependant un sentiment de piétinement, dans la trop grande proximité d'inspiration des deux œuvres. Sentiment que Love me (2000), avec sa troisième utilisation de la même actrice principale, n'effacera pas. Malgré l'emploi de Johnny Hallyday, en chanteur désabusé, et des moments de vérité, la nécessité se fait sentir de l'apport d'un scénariste, manière de renouveler un air un peu raréfié.
S'appuyant cette fois, non plus sur ses seules forces, mais sur un roman de Didier Daeninckx, la cinéaste parvient à faire de La Repentie (2002) une réussite en mineur : Isabelle Adjani, après six ans d'absence, y est bonne comme en ses meilleurs jours, en créature étrange en quête d'identité(s), et les obsessions de Laetitia Masson, fuite, dérive, etc., y sont pleinement en situation. On pouvait imaginer que la réalisatrice, ayant maîtrisé sa vedette et offert à Sami Frey un rôle plus qu'intéressant, allait abandonner ses sentiers un peu trop balisés "auteur" et se tourner vers un cinéma destiné à un public plus large. Au contraire, elle choisit de tenter l'impossible, en adaptant un roman inadaptable de Christine Angot, Pourquoi le Brésil ? Et de faire de cette impossibilité le sujet du film, qui deviendra Pourquoi (pas) le Brésil ? ; dans un subtil jeu de miroirs, où elle se fait représenter par Elsa Zylberstein, tout en apparaissant elle-même dans son propre rôle (ainsi que la romancière), utilisant ses amis comme acteurs, elle accomplit son numéro de funambule sans tomber de la corde. La mise en spectacle des angoisses de la création est un genre en soi et chaque réalisateur cultive son envie de signer son Huit et demi. Si elle y parvient, c'est pour avoir (apparemment) joué sincèrement le jeu. Le film, déroutant, n'a pas conquis les spectateurs, auxquels il ne s'adressait sans doute pas vraiment – mais il demeure comme une expérience passionnante de mise en question personnelle.
Il lui faudra quatre ans pour tourner son sixième film, à partir d'un scénario qu'elle signe seule, Coupable (2008). De nouveau une recherche, quête et enquête à la fois policières et métaphysiques, avec Hélène Fillières et Denis Podalydès, dont toutes les clés ne sont pas fournies. L'univers particulier de la réalisatrice est toujours présent, mais clos, comme si le système se refermait sur lui-même et peinait à convaincre de sa nécessité. La télévision et son obligation de lisibilité peut représenter un antidote à cette tentation d'enfermement.
Lucien Logette