Les trois films qu'il réalise en 1960, Contes cruels de la jeunesse, L'Enterrement du soleil et Nuit et brouillard du Japon résonnent d'une tonalité neuve dans le cinéma national et, découverts par la critique internationale, sont considérés comme des manifestes ; le troisième, ainsi intitulé en hommage au film d'Alain Resnais, dresse un tableau de la mémoire des combats, depuis la fin de la guerre, de l'extrême-gauche japonaise contre l'occupation du pays par l'armée américaine.
Son interdiction, après quatre jours d'exploitation, ne fit que renforcer la radicalité d'Oshima, qui marqua entre plus fortement son territoire dans ses films suivants, Le Révolté (1962), Le Journal de Yunboji (1963), L'Obsédé en plein jour (1966). C'est surtout grâce à La Pendaison (1968), puis au Petit Garçon (1969) qu'il fut reconnu en France.
Le premier reprend de façon réaliste l'exécution d'un Coréen coupable de viols et de meurtres, exécution ratée qui lui fait perdre la mémoire ; ses geôliers le font alors rejouer ses crimes afin qu'il retrouve ses esprits et puisse être pendu. Le second montre la dérive à travers le pays d'un couple qui fait de son fils une victime d'accidents de voiture pour se faire indemniser par les conducteurs.
Oshima revient à une description plus immédiatement politique avec le Journal du voleur de Shinjuku (1969), dans lequel il recrée l'agitation étudiante à Tokyo, l'année précédente. Son ambition d'un tableau plus large de la société japonaise se traduit dans La Cérémonie (1971), qui lui permet, à partir du suicide d'un de ses membres, de retracer vingt-cinq années de la vie d'une famille et les événements historiques qu'elle a traversés.
Après un film plus léger, Une petite sœur pour l'été (1972), Oshima est à la peine : la maison de production indépendante qu'il avait fondée en 1965 disparaît, et il ne trouve aucune compagnie japonaise pour le produire. C'est alors que le Français Anatole Dauman le prend en charge et va donner une direction différente à sa carrière : s'il tourne moins (cinq films entre 1976 et 2000), il va devenir un cinéaste international dont chaque nouveau film sera un événement.
Il commence par un scénario bâti sur une histoire authentique, survenue dans le Japon d'avant-guerre, celle d'un couple qui, vivant une expérience sexuelle passionnée, se coupe peu à peu du monde et sombre dans une démence érotique fatale, où la femme tranche le sexe de son amant. L'Empire des sens, illustration extrême de la pensée de Georges Bataille, alliance d'amour et de mort, quête effrénée du bonheur par l'accomplissement physique, secoua le Festival de Cannes et les nombreux spectateurs qui le virent (plus que tous ses autres films jusqu'alors) – mais moins les Japonais qui n'eurent droit qu'à une version censurée.
Même si les scènes d'amour explicites ne surprennent plus aujourd'hui, le film conserve toute sa puissance. L'Empire de la passion, réalisé deux ans plus tard, décrivait de nouveau une passion amoureuse démesurée conclue par un meurtre, le fantôme du défunt revenant hanter ses assassins, qui sont arrêtés et torturés.
Quoique récompensé par le prix de la mise en scène à Cannes 1978, le film surprit moins que le précédent, et Oshima mit cinq ans pour monter Furyo, coproduction britannique avec David Bowie, remarquable en prisonnier anglais d'un camp japonais en 1942, univers clos où, sur fond de sadisme du commandant (Ryuchi Sakamoto, également remarquable) les passions s'exacerbent. Le film fit découvrir, dans un petit rôle, Takeshi Kitano, pas encore réalisateur mais déjà vedette de la télévision japonaise.
Ce succès mondial offrit à Oshima les coudées franches pour réaliser, en 1986, un scénario écrit avec Jean-Claude Carrière, Max mon amour, sur un sujet digne de Marco Ferreri, mais traité sans voyeurisme ni provocation, comme étant dans l'ordre des choses, autour des relations amoureuses de Charlotte Rampling et d'un chimpanzé.
Il faudra attendre quatorze ans pour voir son ultime film, Tabou, tourné au Japon, histoire d'amour, au XIXe siècle, entre deux samouraïs au sein d'une milice, qui aurait fait scandale si Oshima avait voulu être scandaleux ; il peint de nouveau simplement, de façon à la fois ambiguë et réaliste, un univers clos où, comme dans L'Empire des sens, instinct de vie et instinct de mort se complètent. Ce feu d'artifices secret est resté la dernière œuvre d'un cinéaste à la santé devenue trop fragile. Nagisa Oshima s'est éteint le 15 janvier 2013.
Lucien Logette