Pour demeurer plutôt discret, Richard Linklater n’en demeure pas moins l’un des auteurs plus importants pour toute une frange du cinéma états-unien. Moins coté auprès de la critique qu’un Jeff Nichols, et loin d’être aussi mégalomane qu’un Terrence Malick, Linklater a longtemps fait profil bas. Il n’empêche qu’en creusant un cinéma tout à la fois populaire et expérimental, il a su ouvrir la voie à une communauté d’auteurs très attachés à un territoire jusque là insuffisamment mis en avant dans la culture populaire de l’Amérique du Nord.
Ce cinéma sudiste a pour lui de sortir des clichés cachant mal un mépris de classe perceptible dans certains films hollywoodiens. Le Texas surtout, la Louisane parfois, sont les territoires qu’ont choisi de filmer David Gordon Green, la clique de Bordeline Films (Afterschool, Two Gates of Sleep, Martha Marcy May Marlene) ou même Benh Zeitlin, tous reconnaissant l’importance de Linklater.
Alternant des films populaires (Génération rebelle, Rock Academy) et des films-concept (A Scanner Darkly, la trilogie Before), le cinéma de Linklater est en revanche toujours emprunt de nostalgie, chroniquant un temps qui file et qu’il est difficile de saisir, voire de définir.
Boyhood (2014) fait inévitablement partie de la partie conceptuelle de son cinéma : argument commercial et incroyable tour de force, il s’agit ici de suivre sur 12 ans la croissance d’un enfant jusqu’à l’age adulte. Là où certains auraient usé des effets spéciaux (Fincher), Linklater a préféré faire un pari avec le tout jeune Ellar Coltrane. En accord avec son couple de stars, le fidèle Ethan Hawke et Patricia Arquette, ainsi qu’avec sa propre fille Lorelei Linklater, le cinéaste orchestre 32 jours de tournage sur une période de 12 ans. Le pacte qu’ils scellent alors leur ouvre la voie d’une aventure unique : filmer le grand architecte qu’est le temps. Capter transformation de la chair, voilà un sujet qu’il semble difficile de trouver ailleurs qu’au cinéma. Voir un couple de cinéma (celui formé par Ethan Hawke et Julie Delpy) évoluer le temps de trois films, distant chacun de 10 ans, et être témoin des mutations du corps sur un même film, voilà deux choses différentes.
On sent d’ailleurs, à la mise en scène de Linklater, que sa démarche est tout autre : davantage que dans la trilogie suscitée, l’auteur cherche dans Boyhood à filmer sa créature comme un entomologiste. Qu’est-ce qui a contribué à produire cet adulte, à la fin du film ? Comment cette petite bouille est-elle devenue ce grand échalas ? L’histoire elle-même, qui tient sur un ticket de métro, accouche pourtant d’un film passionnant, tant pour les questions qu’il soulève que par la façon dont le cinéaste a su, en 12 ans, conserver une certaine fraîcheur et donner à son film des formes différentes.
Gaël Martin
FILMOGRAPHIE SELECTIVE
2014 Boyhood
2013 Before Midnight
2012 Up to Speed (série télé)
2012 Bernie
2009 Me and Orson Welles
2008 Fast Food Nation
2004 Before Sunset
2001 Tape Waking Life
1998 Le Gang des Newton
1997 Suburbia
1995 Before Sunrise
1993 Génération rebelle
1991 Slacker