"Cinéma pour adultes" : l'œuvre de Munk
Dans la revue Jeune cinéma, en novembre 1964, le critique Jean Delmas rendit hommage au cinéaste disparu en analys1
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Portrait d'un héros - ou imposteur - malgré lui, dans la Pologne troublée et trouble de la seconde guerre mondiale.
Symphonie héroïque dans laquelle un dandy varsovien, Dzidziuś, prend part par hasard au soulèvement de Varsovie et devient messager auprès des troupes hongroises qui veulent s'y joindre... Portrait d'un héros - ou imposteur - malgré lui, dans la Pologne troublée et trouble de la seconde guerre mondiale.
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" Eroica se situe délibérément en marge de tous les mythes. Et l'on comprend qu'en Pologne l'accueil fait au film ait été des plus mitigés.
" Eroica se situe délibérément en marge de tous les mythes. Et l'on comprend qu'en Pologne l'accueil fait au film ait été des plus mitigés.(...)
Ce qui donne son caractère insolite au film est que nulle part n’est employé le ton héroïque, épique ou solennel, que nulle part ne transparaît le lyrisme de Wajda, qu’au contraire le partisan de la première partie est dépeint comme un type grognon, cocu, versatile, ivrogne à l’occasion, que les épisodes de son odyssée sont toujours décrits avec le maximum d’humour, de naturel, et même parfois de dérision. De même pour la seconde partie la vie quotidienne du camp — avec son relatif confort — nous rend-elle sensible une certaine lâcheté des hommes, une certaine stupidité aussi, ainsi que la facilité avec laquelle ils se créent leur propre enfer, ne pouvant se supporter les uns les autres.
Pour porter un tel regard, presque narquois, sur la tragédie nationale polonaise, il fallait être Polonais. Impossible ailleurs de faire rire, sans mauvais goût, avec une aussi terrible histoire : Munk y a réussi. Son titre doit naturellement s'entendre par antiphrase."
" ... Munk travailla sur un scénario de Stawiński, qui avait collaboré avec Wajda pour Kanal et avec Munk pour Un homme sur la voie. Ce scé
" ... Munk travailla sur un scénario de Stawiński, qui avait collaboré avec Wajda pour Kanal et avec Munk pour Un homme sur la voie. Ce scénario s'intitulait Eroica (puisque le thème de l'héroïsme était dans l'air). Il empruntait son titre à Beethoven et les trois histoires qui devaient composer le film furent intitulées à la manière de morceaux musicaux.
La première partie, "La Religieuse" (sous-titrée "con bravura") est l'histoire d'une résistante dont la fonction de messagère l'amène à tenter de traverser la Hongrie, déguisée en religieuse. Elle échoue dans sa tentative et meurt.
Ni Munk, ni Stawiński n'étaient satisfaits par cette histoire. Non qu'elle fût mauvaise mais, selon eux, elle avait moins d'importance que les deux autres. Munk la supprima et Stawiński omit de l'inclure dans le roman qu'il tira du scénario. En 1972, la curiosité que constituait la version intégrale comprenant "La Religieuse" fut diffusée à la télévision, dans le cadre d'une émission historique spéciale.
Le film, tel qu'il fut distribué, s'ouvre sur la deuxième histoire, "Les Hongrois: scherzo alla polacca".
Au cours de l'insurrection de Varsovie de 1944, Dzidziuś, homme ordinaire, se retrouve au centre de la ville lorsque se déclenche l'insurrection. Sa femme est restée dans leur élégante demeure à l'extérieur de la ville.
Cynique mais habile, ne soutenant aucune cause patriotique, l'homme rejoint sans enthousiasme l'une des unités combattantes. Sommé de participer aux exercices militaires, il décide que tout cela n'a aucun sens et parvient à s'échapper en traversant les lignes polonaises et allemandes et à rentrer chez lui, où il trouve sa délicieuse épouse amourachée d'un officier hongrois attaché à l'armée allemande, et sa compagnie d'artilleurs.
A l'époque, les Hongrois s'étaient alliés à contrecœur aux Allemands et s'efforçaient de se retirer de la guerre, que ces derniers étaient de toute façon en passe de perdre. L'officier propose à Dzidziuś une mission importante, traverser à nouveau les lignes afin de porter au commandement polonais le message suivant : le détachement hongrois se ralliera à l'insurrection à condition que les Polonais le reconnaissent comme son allié lorsqu'arrivera l'Armée rouge.
Agacé mais motivé par le sens du devoir, Dzidziuś doit traverser les lignes dans les deux sens et jouer les porteurs de messages qui lui paraissent absurdes. Les chefs insurgés n'avaient aucun contact avec l'Armée rouge en route pour Varsovie et n'étaient pas certains de leur sort même. Lorsque Dzidziuś revient accompagné d'un émissaire polonais, on comprend vite que rien ne sortira des négociations. Dzidziuś est soulagé de voir que son cauchemar est terminé. Pourtant, lorsque l'émissaire retourne dans la ville où se poursuivent des combats désespérés, Dzidziuś le suit de manière inexplicable.
La narration de cette histoire s'inscrit dans un climat comique. Dzidziuś est lui-même un personnage comique, figure varsovienne reconnaissable. Il est drôle, sympathique, cynique, débrouillard et buveur. Ses aventures relèvent de la farce. Son rôle peu orthodoxe de négociateur dans des circonstances aussi critiques apporte une certaine incongruité aux événements.
Sa traversée des lignes de front, une bouteille de vodka à la main, tourne au burlesque lorsqu'il jette sa bouteille qui fait un bruit métallique en tombant. Elle s'est, en fait, fracassée sur un char allemand qui passait par là. Voilà une comparaison ironique avec l'usage bien réel et mortel des cocktails Molotov au cours de l'insurrection !
Contrairement à Kanal, par exemple, il n'y a pas ici d'égouts sombres et lugubres, mais des champs à la lisière de la ville, des poulets livrés à eux-mêmes, des enfants qui jouent à la guerre! Le ton, joyeux et comique, est aussi dédaigneux et provocateur.
Il n'y a que la fin étrange, lorsque l'habile escroc décide de retourner — sans qu'on sache pourquoi — aux combats, qui soit vaguement pathétique et peut-être même héroïque. Munk garde toujours son masque de sceptique, y compris dans cette dernière scène qu'il ne traite pas avec un sérieux total.
"L'Evasion: ostinato lugubre", la deuxième histoire d'Eroica, se déroule dans un camp de prisonniers de guerre, où on envoya les officiers s'étant rangés du côté de l'insurrection, après l'effondrement de celle-ci en octobre 1944. Ils y rejoignirent des prisonniers de guerre de la campagne de 1939 qui se trouvaient dans le camp depuis cinq ans. Epuisés, névrosés, ces derniers sont toujours à se chicaner.
Les insurgés ont aussi leur lot de traumatismes, mais tous les prisonniers s'unissent dans l'évocation de l'un des leurs qui fut le seul à faire preuve de courage et à s'échapper et qui doit, pensent-ils, être quelque part en train de combattre les Allemands. Le lieutenant Zawistowski (Tadeusz Łomnicki) est pour les prisonniers le symbole du courage et une légende.
On découvre que Zawistowski se cache en fait dans une cuve à eau, dans le grenier de la caserne où sont enfermés les prisonniers. Ceux qui sont dans le secret lui apportent des vivres clandestinement et ne tiennent pas à détruire sa légende auprès des autres. Lorsqu'il meurt d'épuisement, ceux qui étaient au courant de sa présence demandent aux Allemands de se débarrasser de la cuve. Sa légende peut ainsi lui survivre.
Racontée calmement, cette histoire possède un ton complètement différent de celui de "scherzo alla polacca", comme le terme musical l'indique d'ailleurs.
Il s'agit ici d'un "ostinato lugubre". La clandestinité et la mort de l'officier n'ont rien de drôle, malgré leur aspect grotesque.La représentation et la dramatisation sont sérieuses et source de réflexion, chaque scène ayant été conçue avec soin.
Le mélange des genres esthétiques qui caractérise Eroica peut paraître surprenant mais, malgré la différence de rythme et de ton des deux parties, l'ensemble est dominé par une approche réaliste.
Les personnages sont crédibles, sans démesure héroïque ni caricature. Les événements restent dans le domaine du probable, en dépit de l'ironie implicite. Outre le réalisme, ce qui unit de façon véritable et permanente les deux histoires en leur donnant une cohérence n'est pas tant le style que le point de vue, l'évaluation philosophique et historique.
C'est cette qualité intellectuelle particulière qui place Eroica parmi les événements culturels les plus importants ayant eu lieu après octobre 1956.
Il est utile de revenir ici sur le sujet spécifique de l'héroïsme et sur ses implications thématiques dans la culture polonaise. Pourquoi ce sujet était-il si sensible et douloureux ?
Il faut d'abord prendre en compte l'histoire peu commune de la Pologne, ses nombreuses luttes contre les envahisseurs, la perte de son statut d'Etat pendant cent vingt années au cours desquelles eurent lieu d'innombrables insurrections et la reconquête de son indépendance. Vient ensuite la défaite subie en 1939, aussitôt suivie d'une nouvelle résistance. Rappelons-nous également que la présentation de la lutte courageuse de l'Armée de l'intérieur, organisation la plus importante de la résistance, fut marquée par la falsification et la diffamation et que ses membres furent persécutés durant la période stalinienne. Il n'est pas surprenant que de nombreuses personnes aient attendu la reconnaissance de leur sensibilité, équivalant à une véritable compensation.
Il incombait aux artistes d'illustrer la gloire de la nation ou d'en critiquer l'influence sur les Polonais.
C'est pourquoi, comme on le verra plus loin, la mélopée consacrée aux insurgés de Varsovie que constitue Kanal fut considérée comme un hommage aux héros. Sorti onze mois après Kanal, Eroica fit figure de caricature de l'héroïsme. Si Kanal est marqué par le romantisme, c'est le scepticisme qui règne dans Eroica.
Ce scepticisme est l'envers de la médaille de l'héroïsme. Le romantisme loue le combat héroïque, quelle qu'en soit l'issue. L'approche réaliste soutient l'attitude positiviste de la mise au point. Wajda et Munk rappelaient à la nation l'existence des deux attitudes, romantique et positiviste. En évoquant l'insurrection, Kanal reproduit le sens du sacrifice historique. De son côté, Eroica,, tout en reconnaissant une certaine impulsion héroïque, une sorte de conscience de l'héroïsme, refuse de lui accorder le bénéfice du bon sens. Ces deux films ne s'opposent pas diamétralement; ils comportent chacun des ambiguïtés et des éléments complexes. Ils prolongent le débat sur le dilemme polonais, en présentant des versions non pas contradictoires mais complémentaires. Ils sont le yin et le yang du dilemme polonais..."
" ... Eroica est fait de trois sketches. Avec les 6 ou 8 de De la veine à revendre, les 2 des Etoiles doivent briller, les 3 retours en ar
" ... Eroica est fait de trois sketches. Avec les 6 ou 8 de De la veine à revendre, les 2 des Etoiles doivent briller, les 3 retours en arrière d'Un homme sur la voie et de La Passagère, où s'ajoute la double structure contemporaine, le retour qui efface l'aller des Hommes de la Croix Bleue, il se confirme que Munk réalise des films dans le film.
Pour lui, un long métrage est une somme de courts métrages. Le court métrage est une thèse, le long métrage une synthèse. D'où la différence de qualité entre les deux genres chez Munk et chez presque tous les cinéastes.
Il y a évolution et contradiction constante d'un film à l'autre, mais aussi d'une partie de film à l'autre, et même au cours de la réalisation de ces parties (La Passagère) ou au montage (c'est le cas ici). Plus que d'affirmations contradictoires, il s'agit d'interrogations semblables dans des registres très opposés.
Scherzo alla pollacca est la plus audacieuse, car Munk traite sur un ton comique une démarche dont l'échec allait être une des causes de la destruction de Varsovie en 1944.
C'est la première tragédie guerrière qui fasse rire. Elle n'a pu être réalisée que grâce au masochisme polonais et à la réputation de Munk, titulaire de deux prix occidentaux pour un seul film après l'échec total de ses confrères (sauf Ford une fois).
Un Polonais très ordinaire, Dzidzius, fait une navette insensée entre sa maison, dans Varsovie assiégée par les Russes, et le camp des résistants, auxquels il soumet vainement la proposition d'un Hongrois, amant de sa femme, de leur rallier son armée moyennant le pardon des Russes. Dzidzius est un égoïste, un indifférent, un blasé, un froussard, mais son comportement est celui d'un héros — l'un explique l'autre, nous disait Stephen Crane —; il traverse quatre fois les lignes ennemies, rejoint sans raison les résistants à la fin.
Chaque moment de sa progression héroïque est moqué par son inconscience devant le danger ou par son ridicule : ses gestes, ses réflexes sont désordonnés, puérils, maladroits, mais ils font qu'il est le seul à rester vivant. La parodie joue du contrepoint de façon plus ou moins réaliste : Dzidzius fait pipi au milieu du massacre, les résistants le soupçonnent, tandis que les Allemands lui font des faveurs.Ostinato lugubre, sous l'apparence d'une tragédie, cache une démystification semblable.
Eroica est d'abord une parodie, mais c'est une fausse parodie. Les voies de l'héroïsme ne peuvent être que détournées, mais elles existent.
Ce qui constitue une grande audace, surtout en Pologne, où l'héroïsme traditionnel est une institution nationale. Une telle nouveauté, une telle ambition obligeaient Munk à faire un chef-d'œuvre. C'est peut-être le seul film que l'on voudrait aimer à toute force. Malheureusement, le résultat n'est que la somme des idées du scénario gâché. Le ratage volontaire de l'atmosphère comique (ou dramatique), qui accentue la dérision, l'ennui, la gêne, se confond avec le ratage involontaire de la direction d'acteurs — très au-dessous des sentiments qu'ils devraient exprimer dans Ostinato lugubre — et du style : les effets d'opposition sont rendus soit avec une sécheresse de caractérisation très intellectuelle, reposant sur la seule grammaire cinématographique (profondeur et division du champ), jamais sur les impressions que pourrait avoir le spectateur..."
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