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1918, c'est l’hécatombe sur le front ukrainien et la misère à l'arrière. Un déserteur revenu chez lui défie les autorités et prône le système soviétique...
En 1918, tandis que l’hécatombe se poursuit sur le front ukrainien, la misère accable la population. Timosh, un déserteur de retour chez lui, se met à défier les autorités locales. Il prône l’adoption du système soviétique et incite les ouvriers de l’Arsenal de Kiev à prendre les armes pour la Révolution.
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" Il y a deux films dans lesquels le cinéma soviétique de l’école du montage a pratiquement réalis&e
" Il y a deux films dans lesquels le cinéma soviétique de l’école du montage a pratiquement réalisé ses plus hautes ambitions, s’est approché au plus près de l’absolu artistique qu’il s’était forgé, deux chefs-d’œuvre solitaires : Octobre (1927) et Arsenal (1929).
Arsenal n’est ni un roman, ni un drame, ni un spectacle. C’est un chant, exactement une ode tragique aux ouvriers de l’arsenal de Kiev, insurgés en janvier 1918 contre le Gouvernement central nationaliste de l’Ukraine, la RADA. Une ode inouïe, faite pour être écoutée par les yeux.
D’un groupe de travailleurs moscovites auquel le film fut présenté lors de sa sortie, Leyda rapporte cette réflexion remarquable : « Ce n’est pas une histoire mais un poème. D’ailleurs les premières répliques du film sont en réalité chantées : Ah ! la Mère avait trois fils. Pendant que nous voyons le visage infiniment triste de la mère des trois soldats, notre gorge se noue ; nous croyons entendre le triste chant de douleur d’une mère. »
— Chant verbal et plastique, fait d’images et de mots (...)
Arsenal s’érige lui- même en légende épique, en discours lyrique (...) en poème, parole pure (...) « L’action tout entière y est libérée des catégories du temps et de l’espace », dit Eisenstein (Film Form). Ce qu’une critique anonyme de l’époque exprime plus poétiquement : « Les événements se déroulent et se superposent sans être soutenus par l’axe du temps réel. » (...)
Avec Arsenal, où les paroxysmes, la démesure, « le ton au-dessus », sont plus souvent dans les situations, les faits, leur contexte, que dans les personnages, peut-être pourrait-on parler d’opéra retourné (comme se retourne un gant), l’étrange négatif d’un opéra absent, en creux, et extraordinairement envoûtant d’être silencieux.
Si l’on excepte le cinéma nordique, qui transposa à l’écran l’espace de dix années la vision romanesque de Selma Lagerlöf, les temps modernes n’avaient pas connu, avant l’apparition du cinéma révolutionnaire soviétique, d’autre épopée que le western.
Mais on remarquera que, si Tempête sur l'Asie est un « film d’aventures » révolutionnaires, c’est Zvénigora (Dovjenko, 1928) qui a élevé le feuilleton populaire, la littérature de colportage, (et derrière eux tout le cinéma de large consommation) à la dignité de la chanson de geste, de la façon dont on a dit que les romans de Dostoïevski avaient transporté le feuilleton (et Faulkner, le roman policier) dans l’univers de la tragédie.
Mais Arsenal, tout comme Octobre, ne se rattache plus à rien de connu. Il faut, si l’on veut s’en expliquer la genèse, lui chercher des équivalences dans les domaines de la peinture : — l’expressionnisme (un « tableau » comme celui du cheval regardant passivement Ivan qui, par désespoir, vient de le battre, absurdement, de son unique bras, et disant à son maître : Ce n'est pas moi qu’il faut frapper, Ivan, est l’homologue exact d’une lithographie de Daumier ou de Grosz avec sa légende), le cubisme (Leyda souligne les affinités d’esprit et de style entre Arsenal et le « Guernica » de Picasso) ; dans le domaine aussi de la littérature « constructiviste » : Joyce, Dos Passos, Döblin, où un flux, une vision homogènes, unitaires, s’édifient à partir de matériaux les plus hétéroclites. (Il y a dans mon film suffisamment de matériaux pour cinq ou six films, déclarait Dovjenko.)
En ce sens, il est exact aussi qu’Arsenal transpose la gravure, l’estampe populaire, la lithographie, l’icône paysanne, l’affiche de mobilisation politique, les « fenêtres de la Rosta » illustrées par un Maïakovski, élargissant le « cliché » (dans tous les sens du mot), naïf ou violent, aux dimensions de l’épopée (...)
Il est fréquent que les séquences d’un film méritent le nom de scènes. Chez Dovjenko mieux que chez nul autre, elles sont des chapitres, denses, autosuffisants, entre eux disparates et cependant, par la magie du lyrisme et du rythme, remarquablement consonants. L’admirable est que plusieurs de ces « chapitres » comportent seulement une poignée d’images, que leur durée et leur agencement suffisent à gonfler aux proportions d’un épisode. La panique des bourgeois dans Kiev insurgée tient en trois plans et un titre (...)
" A Moscou — où il était allé présenter Zvenigora — Dovjenko n’a pas perdu son temps ; i
" A Moscou — où il était allé présenter Zvenigora — Dovjenko n’a pas perdu son temps ; il a confronté son inspiration aux théories du langage, comparé ses recherches et ses audaces aux travaux de ses pairs.
C’est ainsi qu’Arsenal semble s’inscrire dans le « style soviétique » marqué par une conception didactique du montage dans le récit épique. Bela Balasz, par exemple, a relevé à propos de la séquence qui précède le soulèvement de l’arsenal, la mise en pratique par Dovjenko des principes et des leçons de Kulechov et Eisenstein : « Le sous-titre annonc Avant le premier coup. Le silence de la nuit est écrasant. Mais dans la ville personne ne dort. Tous attendent le premier coup. Qui attend ? Comment attend-t-on ? En une série de courtes scènes qui captent un mouvement, un geste, une image, un profil, le film explore toutes les couches sociales. L’ouvrier se dresse. Le soldat est en éveil. L’artisan scrute l’ombre. Le commerçant tend l’oreille. Le professeur, le petit employé, le bohémien attendent anxieux dans la nuit. »
Le poids de l’attente retrouve ici la terrible tension des imminences graves. Les gros plans révèlent l’angoisse, dilatent l’instant insoutenable en le chargeant de toutes les virtualités. Alors nous devient perceptible la patiente concentration de toute la ville sur un signal qui la libérera enfin.
Mais ce recours aux conventions d’une écriture n’est pas abandon d’un langage. Tout se passe comme si Dovjenko disciplinait les apparences de son récit pour mieux en faire accepter les outrances.
Après la description analytique et « réaliste » de la ville de Kiev, le soulèvement peut se déchaîner, s’interrompre en des digressions lyriques, repartir plus impitoyable, la répression peut frapper, notre jugement critique est prêt à admettre toutes les allégories comme celle du cadavre redevenu vivant car nous savons qu’il y avait dans cette révolte tant de vie qu’une balle ne la pouvait anéantir. L’au-delà de la mort était déjà perceptible dans la détermination des gros-plans. Sans nous choquer, la colère peut alors déborder des cadres coutumiers et convenus.
Mais ne serait-il que ça, Arsenal serait un très bon film bolchevique, sans plus. Or, les impératifs de parti n’ont pas pour autant étouffé l’inspiration personnelle, ni entravé les abandons au délire.
Chez tout autre que Dovjenko une séquence comme celle des obsèques du commandant eut été inconcevable. Telle qu’elle se présente elle a la valeur des parenthèses où se réfugient des vérités essentielles. Même mort, un combattant reste un homme à qui sont dus les honneurs et les signes d’une reconnaissance fraternelle. Les urgences de l’action ne sauraient dispenser du respect de la personne.
L’insurrection se suspend tandis qu’à travers les champs de neige galope le cortège funèbre du héros porté sur l’affût d’un canon. Le conducteur au fouet claque au vent sa lanière et parle aux chevaux. « Courez de toutes vos jambes, galopez de tous vos sabots, car le temps presse et la Révolution n’attend pas ». La neige vole, les naseaux frémissent, les crinières s’épanouissent au vent de la course folle ; vole la neige ; frémissent les naseaux (...)
Arsenal est un excellent cours d’histoire sur la lutte des classes en Ukraine, sur les péripéties de la Révolution dans les années de l’immédiat après-guerre — mais ce ne sera jamais au détriment de la beauté des actes humains, jamais au détriment d’un paysage qui porte la vie des hommes et s’apprête à recueillir leur mort. Néanmoins, définitivement maître de son récit, Alexandre Dovjenko met en chantier la même année 1929 son plus incontestable chef-d’œuvre Zemlia (La Terre)..."
« Il me fallut une quinzaine de jours pour écrire le scénario et six mois pour tourner et monter le film. Arsenal &eacu
« Il me fallut une quinzaine de jours pour écrire le scénario et six mois pour tourner et monter le film. Arsenal était un film cent pour cent politique. En le faisant, je m'étais chargé de deux missions : d'abord démasquer le nationalisme ukrainien, réactionnaire et chauvin, ensuite me faire le chantre de la classe ouvrière ukrainienne... » Arsenal est effectivement un représentant parfait de ce cinéma soviétique qui entend éduquer le peuple, lui transmettre une vision politique, lui faire partager des idéaux, offrir un socle commun à une humanité dispersée.
Arsenal s'ouvre sur les horreurs du front, les campagnes dévastées, la misère des soldats et du peuple. Les images de Dovjenko frappent par leur charge émotionnelle et leur capacité d'abstraction, comme ce soldat devenu fou qui nous regarde hilare et dont le rictus désespéré porte toute l’abomination guerrière. Ailleurs, un paysan battant son cheval décharné suffit à montrer la douleur du peuple ukrainien et son désespoir. Comme c’est l’homme qui guide les films de Dovjenko, le souci d’Arsenal est de montrer d'abord ce qui s’est passé dans leur cœur et qui s’est ensuite concrétisé en actes. La mutinerie des soldats, la fronde face au gouvernement nationaliste, la grève générale bientôt noyée dans le sang : tous ces évènements historiques nous marquent profondément car avant de les évoquer Dovjenko, par son humanisme forcené, nous a fait partager le sort de ses frères.
On l'a vu, Eisenstein était un admirateur des films muets de Dovjenko. On retrouve effectivement dans Arsenal le goût de la métaphore cher au réalisateur de La Grève, comme cet accident de train montré à l’écran par un accordéon qui s’écrase.
Mais, loin de l’intellectualisation du cinéma et du souci constant de maîtrise à l’œuvre chez Eisenstein, Dovjenko se laisse porter par sa sensibilité, sa musique intérieure. Ses films sont de véritables poèmes et ses images atteignent une pureté lyrique rare. La Terre ou Arsenal palpitent au rythme du cœur russe et de l’histoire de la lutte communiste.
Dans Arsenal, les images magnifient la foi politique, l’enthousiasme et l’héroïsme de la lutte, la fierté de celui qui se dresse devant le tyran, l'immortalité qu'il acquiert en se sacrifiant. Lorsque Timoch brave les soldats nationalistes, il se tient debout face à eux, le torse découvert. Et lorsque les balles pleuvent et que son corps devrait en être criblé, Dovjenko le montre toujours droit, les yeux grands ouverts, et ce sont ses assassins qu'il fait disparaître dans un fondu au noir.
La force d'évocation d'Arsenal tient dans le fait qu'un grand mouvement politique est vécu à hauteur d’homme. Alors que ses compatriotes cinéastes préfèrent mettre en avant la masse presque indistincte du peuple plutôt que des individus, Dovjenko filme des personnages. Chez lui, les petites gens acquièrent la stature de héros, pas pour ce qu'ils représentent, mais tout simplement pour ce qu’ils sont. Alexandre Dovjenko s'explique ainsi : « La goutte de rosée peut être à elle seule le miroir qui reflète le monde et la société toute entière. Et si notre pays est un grand pays, c’est que les petites gens y sont grands. » Ce qui compte pour Dovjenko, c’est de faire vibrer les sentiments humains par la grâce du cinéma. Il développe ses personnages au-delà de leurs seules contributions au thème du film. De la même façon, plutôt que d’aller directement au sujet, au message, il préfère broder, dépasser le simple cadre de l'évènement pour l’inclure dans un plus grand mouvement, un mouvement historique, social mais aussi géographique et humaniste. Dovjenko rejette l’approche réaliste chère à un certain cinéma soviétique. Ce qu’il souhaite, c’est coucher sur la pellicule le cœur des hommes, la richesse prodigieuse de l’âme humaine ou ses terribles abîmes, la magnificence de la nature... en bref, l’essence des choses et des êtres. Dovjenko préfère donc la stylisation, l'usage de métaphores hyperboliques à un vérisme qui lui interdirait d'atteindre cette valeur universelle qu'il recherche.
Chaque plan d'Arsenal montre un cinéaste possédant un sens aigu de la composition des cadres. Dovjenko était d’ailleurs peintre (mais aussi caricaturiste) avant d’être cinéaste.
On a ainsi affaire à des plans-tableaux conçus comme indépendants, chacun racontant une histoire de manière presque autonome. Le montage entrechoque ces plans et ne joue pas sur leur contiguïté à la manière d’un Eisenstein ou d’un Poudovkine. Un rythme singulier se dégage ainsi du film, un art de l’enchaînement extrêmement novateur qui joue sur le conflit et la collision.
Ses plans, qui semblent si minutieusement préparés (dans l’utilisation des lumières, des lignes de fuites, de la verticalité ou de l’horizontalité, des contrastes...) sont en fait souvent improvisés au moment du tournage en fonction du paysage, du décor ou des acteurs.
Arsenal fait partie de ces films qui semblent être en prise directe avec le monde, et l'on comprend Tarkovski lorsqu'il déclare : « Si l’on doit me comparer à quelqu’un, cela devrait être à Dovjenko. Il fut le premier réalisateur pour qui le problème de l’atmosphère était important, et il aimait passionnément sa terre. »
Arsenal est un film inoubliable, et ses images d’une incroyable force poétique et lyrique font partie des plus beaux moments que le cinéma muet nous ait offert.
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