Multi récompensé, l’infatigable Jacques Audiard, tout juste auréolé de sept César et deux Oscars pour Emilia Pérez, s’impose comme l’un des plus grands cinéastes français contemporains. En perpétuelle réinvention, Audiard explore une multitude de genres (drame musical, réalisme brut, western...) avec une mise en scène visuelle et narrative unique. Afin de replonger dans son œuvre, qui peut se voir tout entière comme une œuvre d’art totale, nous vous proposons un classement totalement subjectif de ses films.
10. Regarde les hommes tomber (1994)
Jusqu’alors scénariste et monteur, Jacques Audiard décide de passer derrière la caméra en 1994 pour conter l’histoire d’hommes à la dérive. Le galop d’essai est déjà plein de promesses et bourré d’envies de mise en scène, d’audace et d’acteurs au firmament : Jean Yanne, Mathieu Kassovitz et surtout Jean-Louis Trintignant portent haut ce road movie désespéré. Cette noirceur sera l’une des caractéristiques de son œuvre, à la fois solaire et obscure. Et déjà trois César dont celui de la première œuvre.
9. Les Olympiades (2021)
En 2021, Jacques Audiard s’entoure de Léa Mysius et Céline Sciamma pour adapter la série de bandes dessinées Les Intrus d'Adrian Tomine. En déplaçant le lieu de son marivaudage de Los Angeles à Paris, Audiard nous met sur une fausse piste avec ce quartier des Olympiades, peu montré, comme un personnage fantôme. Un reflet du récit fragmenté du parcours amoureux des quatre personnages, représentants d’une jeunesse parisienne désenchantée. Un Audiard mineur, mais qui vaut le détour, ne serait-ce que pour son noir et blanc élégant, son casting de choix (Noémie Merlant, Lucie Zhang, Makita Samba et Jehnny Beth) et la musique de Rone.
8. Un héros très discret (1996)
Un héros très discret poursuit ce qu’Audiard avait déjà entamé dans son premier film en tant que metteur en scène : une vision dure et sombre d’une France qui se rêve plus belle qu'elle n’est. Ce sera l’occasion de retrouver Kassovitz, qui sort tout juste de La Haine, pour prêter ses traits à un homme qui (se) fait des films de sa vie. Et ce sera surtout la transformation du premier essai, en confirmant Jacques Audiard, non plus seulement scénariste et monteur, mais bien en réalisateur sur lequel il faudra compter.
7. Les frères Sisters (2018)
Une maison crame sous les flammes tandis que s'avancent deux silhouettes dans l’ombre : "A ton avis, on en a tué combien ?" demande à l’autre l’un des frères Sisters avec un ton détaché. Dans ce western enflammé, genre aussi vieux que le cinéma, Jacques Audiard capte des problématiques contemporaines, la paternité et la violence transmise de père en fils comme un prolongement de De battre mon cœur s’est arrêté. Un film avec un casting quasi exclusivement masculin (Joaquin Phoenix, John C Reilly, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed) évoluant au sein d’une nature sauvage et aride, qu’ils ravagent de leurs cadavres autant qu’ils essaient d’en exploiter les trésors. Ce huitième film a remporté les César du meilleur réalisateur, de la meilleure photographie, des meilleurs décors et du meilleur son.
6. Sur mes lèvres (2001)
Nouvelle plongée dans le milieu de la corruption immobilière - l’un des grands maux de ce siècle à en croire Jacques Audiard - un terrain idéal pour joindre espionnage, film noir et romance. Et pour cela, le cinéaste s’est entouré d’un spécialiste du roman noir, Tonino Benacquista. Au-delà des clichés, Carla (Emmanuelle Devos) employée de bureau demi-sourde, et Paul (Vincent Cassel), son nouveau stagiaire, exploitent leurs failles autant qu’ils les unissent contre de plus grands bandits qu’eux. Travaillant le corps de ses personnages, Audiard développe d’autres langages que la parole : regards, silences et bien sûr celui de la lecture labiale.
5. De battre mon coeur s'est arrêté (2005)
Comment sortir d’un milieu auquel on ne se sent plus appartenir quand d’autres individus nous y retiennent ? Inspiré du film américain Mélodie pour un tueur (James Toback, 1978), De battre mon coeur s'est arrêté explore l’incompatibilité entre le monde de la violence et de l’art. Tom, 25 ans, joué par un Romain Duris tout en tension et excitation, se partage entre le piano et les combines immobilières de son père, joué par Niels Arestrup. Toute l’impossibilité de cette rédemption est traversée par des accents de film noir, le milieu décrit comme une maladie, et du film de fantôme avec l’esprit d’une mère qui hante le musicien.
4. Dheepan (2015)
Cette année 2015, Audiard a oscillé entre les critiques méfiantes et la gloire cannoise. Les critiques s’écharpaient autour du geste politique, alors que toute la beauté du film palmé du cinéaste réside dans son histoire d’amour. Car en filigrane, c’est bien l’objet tapi dans l’ombre de ce faux film de banlieue, faux vigilante et faux film politique. L’Amour en territoire inconnu, éternel vertige du cinéma. De son esthétique et de ses motifs (ralentis, instants en pause sublimés), Audiard tirera toute la sève de son scénario.
3. De Rouille et d'os (2012)
Un sublime générique contenant des images d’un fœtus à l’intérieur d’un ventre maternel permet à Jacques Audiard de poser la question qui suit tout son cinéma : combien de vies peut-on embrasser et dans quel corps peut-on renaître ? Ni plus ni moins, que la plus belle histoire d’amour de sa filmographie. Deux belles bêtes qui se portent et transfèrent leur énergie. Marion Cotillard, magnifique et à cœur ouvert, de dresseuse d’orques à cyborg, et Matthias Schoenaerts, brut et doux, père et boxeur, lauréat du César du meilleur espoir masculin en 2012. Et surtout, un scénario plus que jamais optimiste jouant avec les lumières du soleil du Sud.
2. Emilia Pérez (2024)
Emilia Perez était un sacré défi. Adapter, sous forme de comédie musicale, le roman Écoute de Boris Razon, dans lequel une avocate aide un chef de cartel mexicain à feindre sa propre mort pour devenir la femme qu’il a toujours rêvé d’être n’était pas forcément un projet sur lequel on attendait Jacques Audiard. Et le résultat est singulier. Toujours sur le fil du rasoir, Emilia Pérez oscille constamment entre le grotesque et le sublime, le ridicule et le génial. Un film auréolé de récompenses à travers le monde (Prix du Jury et prix d’interprétation féminine collectif pour ses 4 actrices à Cannes, 7 César et 2 Oscars).
1. Un Prophète (2005)
Un des sommets du film de prison français avec Un condamné à mort s’est échappé (1956) de Robert Bresson chez qui Jacques Audiard puise la sagesse minimaliste et le réalisme brut. Se réinventant toujours, le cinéaste orne les murs froids et gris d’instants oniriques et expérimentaux, comme les ralentis qui lui sont chers et qui distordent le temps pour mieux nous transporter dans l'esprit de Malik (Tahar Rahim). Évoluant dans un univers sans pitié, ce jeune délinquant traverse son incarcération hanté et guidé par sa première victime qui lui vaut ce nom de prophète. Décryptant les rapports de force entre les communautés corses et arabes, il s’impose bien plus comme une figure machiavélique que prophétique. Mais, le prophète c’est aussi Audiard, celui de la société française.
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