PAUL VERHOEVEN
SATIRE À BALLES RÉELLES

Après un début de carrière décrié dans son pays natal, le « hollandais violent » (c’est son surnom !) Paul Verhoeven arrive aux États-Unis en 1987, et accède à la notoriété mondiale avec une poignée de films corrosifs. De Robocop à Hollow Man, parcours d’un authentique contrebandier du cinéma hollywoodien ! 


En discutant du développement de Robocop, le patron de la société Orion Pictures Mike Medavoy explique à Paul Verhoeven qu’il s’apprête à tourner son premier film hollywoodien, et que le public américain a certaines habitudes. Verhoeven raconte : « J’ai tourné La Chair et le Sang en Espagne en 1985, et le film était financé par des capitaux américains, par la société Orion. Mike Medavoy était le patron d’Orion à l’époque et après l’échec du film, il m’a dit une chose très intéressante : « Si tu veux faire des films américains, tu dois t’installer et vivre aux Etats-Unis. Tu dois être entouré par des américains, et c’est comme ça que tu deviendras américain toi-même ». Moi qui pensais avoir fait un film américain avec La Chair et le Sang, je me suis rendu compte qu’il avait raison »(1). Verhoeven s’installe donc aux États-Unis et prend conscience des dérives abusives de la société de consommation, de l’omniprésence de la publicité et des énormes contradictions d’un pays qui cite Dieu sur ses propres billets de banque. Robocop raconte l’histoire de Murphy, un flic modèle qui se fait tuer dans l’exercice de ses fonctions, pour mieux revenir sous la forme d’une machine à pacifier les rues malfamées de la ville de Detroit qui n’hésite pas à utiliser sa puissance de feu.

Au départ, Paul Verhoeven déteste le scénario d’Edward Neumeier et Michael Miner. Sa femme Martine le retrouve dans la poubelle et décide d’y jeter un œil. C’est elle qui lui conseille de le relire sous un autre angle. Le réalisateur y voit alors l’occasion de transformer Robocop en une sorte de « American Jesus » (pour reprendre ses termes), crucifié sur l’autel de la corruption et ressuscité par la foi du capitalisme. Tout est déjà plus ou moins présent dans le scénario, mais Verhoeven manie le symbolisme avec une certaine puissance d’évocation : Murphy est crucifié au sol et perd son bras d’un coup de fusil à pompe, à la manière de Jésus dont les mains sont clouées sur la croix. Ressuscité sous les traits mécaniques de Robocop, il marche littéralement sur une nappe d’eau pour exterminer ses ennemis lors d’un climax tonitruant, le sang versé teintant alors le liquide d’un rouge plus profond que celui du vin ! Plus fort encore, Verhoeven intègre la présence de la télévision et des médias dans le récit, à travers une satire des journaux télévisés et des fausses publicités qui renforcent la cohérence de ce futur dystopique, plus que jamais d’actualité aujourd’hui.

Le succès de Robocop indique la direction de la future carrière américaine de Paul Verhoeven. Celui-ci investit alors le système hollywoodien pour mieux en repousser les limites par le truchement de sa mise en scène symbolique, et même souvent ironique. Il transforme ainsi Total Recall, adaptation de Philip K. Dick et énorme projet pour Arnold Schwarzenegger, en éloge du « bon » mauvais goût, tirant à boulets rouges sur toutes les conventions d’un film de studio de l’époque : « Aux États-Unis, j’ai manié l’ironie pour me donner une raison d’investir un genre qui ne m’intéressait pas tant que ça, à savoir la science-fiction » raconte Verhoeven. « En général, je trouve que c’est un genre un peu plat, qui ne permet pas vraiment de construire des vrais personnages. Prenez Total Recall par exemple : c’est Arnold Schwarzenegger qui définit le caractère du film, pas son personnage. On ne peut pas le louper, donc c’est difficile de le faire changer de registre. J’ai donc utilisé cette couche d’ironie, pour rendre la science-fiction intéressante de mon point de vue, mais ce n’était pas vraiment une approche raisonnée, plutôt un mécanisme de défense contre mon propre ressenti. Comme je venais de Hollande à l’époque, et d’un background cinématographique très réaliste, je craignais que mes films de science-fiction semblent totalement irréalistes et artificiels » (2). Au nez et à la barbe des spectateurs, Paul Verhoeven transforme le véhicule taillé pour les muscles saillants d’Arnold en pamphlet schizophrène, suggérant même par son fondu au blanc final que le protagoniste principal n’a pas vraiment vécu cette aventure héroïque sur Mars car il aurait été lobotomisé sur Terre.

Rebelote avec Basic Instinct, dans lequel il utilise des notions de chorégraphies de comédies musicales pour tourner des scènes de sexe crues, et alors inédites dans le paysage hollywoodien. Tellement inédites que la plupart des vedettes féminines de l’époque refusent le rôle de la sulfureuse Catherine Tramell, qui incombe à la courageuse Sharon Stone. Celle-ci devient alors une star du jour au lendemain,quand Basic Instinct revivifie le thriller Hitchcockien sous l’angle de l’érotisme. Énorme succès au box-office, le film subit cependant les foudres de la MPAA, l’organisme qui représente les studios hollywoodiens mais impose en réalitéune forme de censure – qui ne dit pas son nom – sur les films qui sortent en salles. 

Fâché d’avoir coupé 45 secondes de rapports sexuels et de meurtres brutaux au pic à glace dans Basic Instinct (en France, le film sort dans sa version complète), Paul Verhoeven a désormais le pouvoir d’imposer ses conditions. C’est ce qui lui permet d’avancer totalement à poil avec Showgirls, son film suivant. De manière littérale d’une part, étant donné que le film raconte le parcours de Nomi Malone, une jeune ingénue qui arrive à Las Vegas pour devenir star, passant du club de striptease du coin aux spectacles de danses érotiques flamboyants qui tournent à guichets fermés. Mais aussi de manière figurée, puisqu’il exige que le film sorte sans l’assentiment de la MPAA, ce qui lui impose d’entrée de jeu le classement « X » généralement réservé aux films pornographiques. Le studio MGM suit le réalisateur dans sa démarche, mais cette relecture trash du Ève de Joseph L. Mankiewicz transposé dans la capitale du capitalisme se plante au box-office. Il faut dire que Paul Verhoeven n’y va pas avec le dos de la cuillère, représentant Las Vegas comme une véritable cour des miracles dans laquelle les riches et les séduisants sont en réalité les pires raclures. Showgirls est probablement le portrait de l’Amérique le plus honnête et le plus authentique qui soit et pour cela, le cinéaste en paye le prix dans sa carrière hollywoodienne.

Pour son retour à la science-fiction satirique avec Starship Troopers, le voici traité de fasciste par les critiques, alors qu’il détourne une fois de plus l’imagerie du film de guerre pour se foutre de la gueule du monopole géopolitique des États-Unis. Cette fois, même l’ironie – pourtant outrancière – ne peut le sauver au box-office. Bien que Starship Troopers soit désormais compris par l’intégralité des spectateurs, cela condamne Paul Verhoeven à accepter Hollow Man comme une commande qu’il mène avec savoir-faire, mais dont la portée subversive est cependant atténuée par les désidératas du studio. Cette relecture du mythe de l’homme invisible – revu sous le prisme amoral suscité par sa condition – sera le dernier film hollywoodien de Verhoeven, avant un retour remarqué au pays avec Black Book. Dans ce film, une jeune chanteuse juive infiltre la Gestapo à la demande de la résistance et tombe amoureuse d’un officier SS. Le tout filmé selon les codes des grandes fresques romantiques des années 40 et 50.On ne se refait pas. Sacré Paulo va ! 

(1)(2) dans Capture Mag : 2012/2022 – notre décennie de cinéma.

© Images tous droits réservés : Robocop : Splendor Films, Hollow Man : Columbia Tristar Films , Total Recall, Basic Instinct : Carlotta Films,  Showgirls : Pathé Films, Starship Troopers : Gaumont.

À voir

En ce moment

Vous avez un bloqueur de publicités activé.
Certaines fonctionnalités du site peuvent être perturbées, veuillez le désactiver pour une meilleure expérience.