Né à Londres en 1899, Alfred Hitchcock, intègre un studio de cinéma au début des années vingt et apprend divers métiers. Il passe à la réalisation dès 1925 et parvient assez vite à une très bonne maîtrise de l’outil comme le prouve The Lodger en 1927, histoire de tueur en série et de faux coupable qui marque aussi la première apparition du réalisateur comme figurant, habitude qu’il gardera et que son génie publicitaire transformera en marque de fabrique.
Aux débuts du parlant, Hitchcock s'essaye à différents genres. En 1931, il ausculte les rapports de couple dans A l’est de Shangaï, sur fonds de croisière exotique. Avec Numéro 17, l’année suivante, il propose une course poursuite au rythme endiablé autour d’un collier volé. Les années trente sont pour lui l'occasion de signer une série de films d’espionnages où s'affirme son sens du tempo et du divertissement, tout en s'appuyant sur des thèmes puissants, qui reviennent en leitmotiv dans son oeuvre (la frustration sexuelle, la hantise du crime... mais aussi un sens de l'humour, jusqu'au macabre) : L’Homme qui en savait trop-première version, en 1934; Les 39 Marches, en 1935, avec un couple adorable forcé par des menottes à vivre l’aventure ensemble; Agent Secret et Jeune et Innocent, en 1937; Une femme disparaît, en 1938.
Appelé à Hollywood en 1940 par le producteur David O. Selznick, Hitchcock adapte Rebecca d’après Daphne du Maurier, avec Laurence Olivier et Joan Fontaine. S'ouvre une fructueuse carrière américaine (Rebecca obtient l’oscar du meilleur film), malgré les conflits avec les studios et les acteurs. L’année suivante, Hitchcock prouve avec Soupçons que l'angoisse peut atteindre une intensité exceptionnelle rien qu'en observant la peur dans les yeux d'une actrice (Joan Fontaine, à nouveau) ou en filmant avec art un acteur qui monte un escalier avec un verre de lait (Cary Grant). Hitchcock ne cesse ensuite de perfectionner son style avec des trouvailles de mise en scène, qu'elles soient imperceptibles (L’Ombre d’un doute; Les Enchaînés...) ou plus visibles (Lifeboat, en 1944, est l’occasion d’un coup de force technique, avec un huis clos vu uniquement depuis le canot de sauvetage; La Corde, en 1948, donne l'illusion d'être tournée en un unique plan-séquence; Le Crime était presque parfait, 1954, a été conçu pour être notamment exploité en relief ...).
Mais Hitchcock joue aussi avec l'image de ses interprètes. De plus en plus clairement au fil du temps, l'érotisme fantasmatique de ses actrices s'affirme : Grace Kelly agit en contrepoint classieux à la moiteur de la chambre du héros-voyeur dans Fenêtre sur cour; Kim Novak arbore un chignon en spirale, dans Vertigo, qui peut être perçu comme une allégorie sexuelle, appuyée par tout une garde-robe des plus explicites, ou encore, parmi bien d'autres, Janet Leigh qui, après avoir fait l'amour et commis un vol, se fait, en retour, assassiner... sous sa douche, dans Psychose). Hitchcock utilise tout autant, pour le mieux, l'image de ses acteurs-stars : la familiarité qu'inspire James Stewart, l'ironie sexuelle de Cary Grant (La Mort aux trousses, et son final avec le plan du train qui entre dans le tunnel au moment où le héros va coucher, enfin, avec celle qui l'a mis en péril), la rigueur de Henry Fonda (Le Faux coupable) ou l'instabilité même de Montgomery Clift (La Loi du silence)...
Hitchcock atteint ainsi dans les années cinquante une popularité immense. La critique le dédaigne encore (Les Cahiers du cinéma, à travers les articles enflammés de Chabrol ou Truffaut vont contribuer à le réhabiliter dans les années soixante), mais le public court voir ses films et sa fameuse silhouette (de plus en plus ronde), qui apparait dans chacun de ses films, est un clin-d'oeil unanimement attendu.
Lancée en 1955, la série télévisée Alfred Hitchcock présente, achève de le rendre familier à chacun avec ses présentations pince-sans-rire qu'il accomplit de sa voix volontairement trainante et dans des petites mises en scènes où il se moque de lui même. Sa consécration est aussi l'amorce d'une fin de carrière en demi-teintes, où les audaces du cinéaste ne sont plus perçues avec la même facilité par le public. En fait, Hitchcock rend simplement plus évidentes les névroses de ses personnages (comme Marnie) et plus grinçant encore son regard, comme dans Frenzy, qui marque son retour en Angleterre, en 1971, et dont la crudité sexuelle, provocante, a pu choquer.
Alfred Hitchcock, longtemps considéré par une critique distante comme simplement «le plus habile homme du cinéma mondial», pour reprendre le mot d’André Bazin, a fini par être reconnu comme un des grands maîtres du septième art et sa disparition, en 1980, fut saluée comme une perte irrémédiable. Il y a certes encore des suspenses qui se tournent "à la HItchcock" mais le secret s'est envolé avec leur auteur. Depuis, de nombreux livres sont revenus sur sa biographie et son oeuvre, et le recueil d’entretiens réalisés avec François Truffaut est devenu l'une des bibles des apprentis-cinéastes et des cinéphiles.
Vincent Boffy et Philippe Piazzo