Né le 15 décembre 1931, à Prague, et disparu le 14 décembre 1988, à Prague, il est assurément, de tous les cinéastes tchèques révélés au cœur des années 60, le plus sombre, et le plus mal connu – et peut-être le plus mal connu parce que le plus sombre.
Des cinq films qu'il a réalisés entre 1964 et 1969, deux seulement ont été distribués en France, et sur un mode confidentiel. Après le "retour à l'ordre", il n'a plus travaillé qu'occasionnellement pour le cinéma, se consacrant au théâtre. L'Amour demesuré, en 1988, après une interruption de presque vingt ans, signifiait un renouveau, trop tardif, puisque Evald Schorm est mort avant même que le film sorte.
Ses débuts avaient pourtant été remarquables, puisqu'après quelques courts métrages tournés pendant ses études à la Famu, il signe en 1964, avec Du courage pour chaque jour, un des films les plus importants du moment, d'une force et d'une acuité politique que peu de ses amis cinéastes atteignirent (si jamais ils les cherchèrent).
C'est aussi le film de la désillusion, celui où la description d'une société bloquée est la plus précise. Les autorités ne s'y trompèrent pas, qui le mirent au placard pendant presque une année et ne permirent sa distribution à l'étranger qu'à partir de 1967 – par bonheur, les ciné-clubs français purent le faire circuler dès 1965, et le film trouva son public.
L'exergue tiré de Kafka qui ouvre le film en donne la tonalité : "Le vautour boit mon sang, jour après jour. Cet homme, derrière moi, me dit : "Veux-tu que j'aille chercher un fusil ?" Et je lui réponds : "Quand tu viendras, il sera trop tard pour moi ; va quand même le chercher." Tous les efforts que tentera le héros, Jarda, pour échapper à sa situation seront inutiles et il devra descendre tous les degrés, jusqu'à son humiliation et son tabassage final, avant d'oser envisager un espoir de remonter à la surface.
Ouvrier modèle, responsable des Jeunesses communistes dans la ligne, n'ayant jamais cherché qu'à appliquer de façon conforme la politique définie, il s'aperçoit brutalement que le monde qui étayait ses certitudes est en train de changer, que la langue de bois officielle n'est plus écoutée par les jeunes qu'il encadre, que sa croyance en l'harmonie sociale et le combat nécessaire pour l'édification du socialisme sont dépassés. Même son histoire d'amour échoue. Il ne trouve que la violence pour solution, une violence qui finit par se retourner contre lui.
Du courage pour chaque jour est parcouru d'une rage qui n'a que peu à voir avec les peintures intimistes de ses voisins. La description de la médiocrité ambiante n'est pas faite avec la sympathie, ou tout au moins le regard un peu complice de Forman ou Passer. C'est un film parfaitement, désespérément, noir.
Curieusement, lorsqu'il s'agit d'adapter avec ses camarades les nouvelles de Bohumil Hrabal, Les Petites Perles au fond de l'eau, en 1965, il choisit un texte plus poétique que critique. La Maison de la joie décrit, en 20 minutes, la demeure d'un tanneur de peau, qui, fatigué d'égorger des chèvres, a recouvert de ses peintures naïves façade, murs, meubles, cave, créant un univers fantastique peuplé de nains, de croisés, de lions domestiques, de saints, où il vit avec sa mère. Les deux assureurs venus de la ville pour lui vanter les bienfaits d'un contrat repartent bredouilles, saoûlés par la parlerie constante et les fantaisies du bonhomme. Rien de commun avec l'inspiration dramatique de l'opus précédent.
Le Retour du fils prodigue, qu'il tourne en 1966, reprend en mineur la thématique de son premier film, mais le portrait de son héros, nanti de tous les éléments du bonheur, métier, façade sociale, famille, voiture, et qui brusquement prend conscience de la vanité de l'ensemble et tente de se suicider avant de finir en hôpital psychiatrique, n'apportait rien, aussi réussi soit-il, de plus à la démonstration radicale de son long métrage. Le constat de la difficulté à vivre le quotidien était identique, sans avoir la même puissance.
Ce n'est qu'au début de 1969 que Cinq filles sur le dos, réalisé en 1966, nous parvint. La situation avait changé depuis la gestation du film, et la Tchécoslovaquie était passée du printemps à l'hiver. Mais ce qui se présentait comme une comédie (le film fut même présenté à Venise dans une section pour la jeunesse) résonnait, en regardant bien, de la même désespérance profonde. Cinq filles, dont quatre accumulent tous les signes de la vulgarité et de la courte vue, et une, mieux lotie, qui cherche autre chose, l'amour, par exemple, et qui, devenue leur souffre-douleur, est tentée par le suicide. La médiocrité ambiante est toujours la plus forte, et le pessimisme de Schorm toujours présent.
L'état des choses ne lui permettait plus de tourner ce qui lui convenait. La Mort du curé, présenté à Cannes 1969 sous le titre Le Bedeau (distribué désormais comme La Fin du bedeau), est un "drame-farce", selon les termes de l'auteur, qui cherchait à retrouver le ton drolatique de Gogol. Un bedeau transformé en faux curé se heurte à un instituteur faux communiste et est renié par son vrai évêque avant, désespéré, de se suicider.
Le film ne trouva pas de distributeur, à l'image des quelques titres que réalisa Schorm ensuite.
Parmi les acteurs de La Fête et les invités (1966) de Jan Nemec, il était celui par qui le scandale arrivait, qui refusait de composer avec les puissances invitantes du banquet et qui partait seul dans la forêt – avant d'être poursuivi par la meute. Belle métaphore : Schorm fut et demeura un solitaire, incapable de s'adapter.
Lucien Logette