Max Ophuls (d'abord Oppenheimer, puis Ophüls ; il supprime le tréma dès qu'il travaille en France) ou l'éternel émigré.
Il ne resta que quelques années dans les pays qui l'ont accueilli durant ses exils. Allemand de naissance, mais juif, il doit quitter Berlin dès 1933, après y avoir réalisé ses premiers films (dont le justement célèbre Liebelei, jolie histoire d'amour avec Magda Schneider, future mère de Romy). L'Italie, puis la France et même les Pays-Bas lui servent de refuge, entre 1934 et 1940, avant qu'il n'échoue aux Etats-Unis, qu'il quitte en 1949 pour revenir en France – et mourir prématurément en Allemagne, bouclant ainsi la boucle.
Malgré cette instabilité et cette immersion involontaire dans des cultures étrangères, à travers les vicissitudes dues aux différents systèmes de production, il est parvenu à bâtir une œuvre personnelle et sensible, reconnaissable quelle que soit la langue utilisée. Si ses mélodrames français d'avant-guerre sont aujourd'hui peu considérés, ils possèdent pourtant des beautés formelles que les années nont pas amoindries : Divine (1935, d'après Colette), Werther (1938, d'après Goethe) conservent grâce et légèreté.
Parmi ses quatre films américains, Lettre d'une inconnue (1948, d'après Stefan Zweig), peinture d'un amour fatal dans la Vienne raffinée de 1900, est un chef-d'œuvre, à placer au même niveau que les films qu'il réussit à tourner après son retour en France : La Ronde (1950), Le Plaisir (1952), Madame de… (1953).
Il y mêle drame et comédie, ironie et élégance, mélancolie et beauté des apparences, servi par les meilleurs acteurs français du moment (Danielle Darrieux trouvera dans Madame de… son rôle le plus mémorable).
L'aventure de Lola Montès (1955), extraordinaire évocation de la fameuse héroïne dans laquelle il met toute sa passion et sa démesure, se termine mal : le film, mal reçu, est mutilé par les producteurs et il faudra attendre 2008 pour le découvrir dans sa dimension originelle.
Ophuls n'est pas seulement un styliste, le maître du plan-séquence en mouvement, c'est aussi un moraliste noir dont l'œuvre tout entière résiste au temps.
Lucien Logette