Il a été tôt nourri de cinéma, puisqu'il est le fils de Jacques Rémy, scénariste à succès, qui, après avoir réalisé un film en Amérique du Sud, Le Moulin des Andes (1945), travailla avec René Clément, Christian-Jaque, Henri Decoin, Roger Vadim, Claude Autant-Lara et René Clair, avant de finir sa carrière à la télévision. Pourtant, après des études littéraires et artistiques (Beaux-Arts), c'est par l'écriture qu'il commence, collaborant en même temps, à 25 ans, aux Cahiers du cinéma et à Rock & Folk. Parallèlement, il se fait la main avec quelques courts métrages, coécrit le scénario de Rendez-vous avec André Téchiné en 1985 et enchaîne immédiatement avec un premier long métrage, Désordre (1986), film choral, où, sur fond de musique rock, se manifeste déjà ce qui va constituer sa marque : un ancrage précis dans la réalité de son temps (il n'a jusqu'à présent signé qu'un seul film "en costumes", Les Destinées sentimentales) et une perspective très juste sur la jeunesse de l'époque.
Il est immédiatement repéré par la critique comme un jeune auteur à suivre attentivement, puis par le public, qui va offrir un accueil de plus en plus chaleureux à ses variations néoromantiques, où il décrit avec un regard moderne le mal-être des individus, l'incertitude des amours et le désarroi des familles fracturées.
Ainsi, de L'Enfant de l'hiver (1989) à L'Heure d'été (2008), il va tracer (il est l'auteur de tous ses scénarios) quelques-uns des plus attachants portraits d'adolescents et de jeunes adultes du cinéma contemporain – Judith Godreche dans Paris s'éveille (1991) et Une nouvelle vie (1993), Thomas Langmann dans Paris s'éveille, Virginie Ledoyen dans L'Eau froide (1994) vont fournir des interprétations mémorables.
Avec Irma Vep (1996), Olivier Assayas franchit un pas décisif : il s'inscrivait jusqu'alors dans la continuité du bon cinéma psychologique de tradition française ; cette fois-ci, son amour ancien du cinéma va s'exercer pleinement, sans que l'œuvre soit trop lourde de références cinéphiliques : à partir du prétexte du "film dans le film", tournage d'une nouvelle version du chef-d'œuvre de Louis Feuillade, Les Vampires (1915), il réalise un film "en miroir", dans lequel la star du cinéma de Hong Kong, Maggie Cheung, alors sa compagne, recrée magnifiquement le personnage mythique original de Musidora, souris d'hôtel en collant noir qui fit tant rêver les surréalistes. Si Irma Vep ne fut pas son plus grand succès public, il demeure certainement le titre majeur de la première phase de sa carrière.
Après le dramatique Fin août, début septembre (1999), avec Mathieu Amalric et François Cluzet, sur lequel plane l'ombre de la mort et, l'année suivante, l'adaptation ambitieuse du roman de Jacques Chardonne, Les Destinées sentimentales, à l'atmosphère curieusement corsetée, les deux univers du romancier et du cinéaste ne communiquant assurément pas, Assayas va entamer sa période "hyper-moderne".
Les trois films qui vont suivre, Demonlover (2002), Clean (2004) et Boarding Gate (2007), n'ont que peu à voir avec l'inspiration précédente et ouvrent une perspective plus large sur le nouveau monde de ce début de siècle. Les manipulations des entreprises du marché de l'électronique dans Demonlover (avec Charles Berling et Connie Nielsen), la dérive individuelle sur fond de trafic de drogue dans Clean (Assayas retrouve Maggie Cheung, prix d'interprétation à Cannes 2004), la pieuvre de l'affairisme mondialisé dans Boarding Gate (avec Asia Argento et Michael Madsen) élargissent le propos à une dimension quasi planétaire. Le malaise du monde a remplacé le mal-être des adolescents.
L'Heure d'été, avec sa famille (Charles Berling, de nouveau, et Juliette Binoche) regroupée pour l'anniversaire de la mère (Édith Scob) marque cependant un retour à la thématique première tout en réaffirmant la maîtrise du cinéaste à tresser et dénuder les relations internes d'un groupe social.
Rien dans cette petite musique intime retrouvée ne laissait prévoir l'éclat et la fureur de Carlos (2010), recréation biographique de l'itinéraire sanglant du terroriste des années 70 et 80 : l'intelligence politique, la puissance de la mise en scène (la prise d'otages des ministres de l'OPEP, filmée en un seul élan de presque 90 minutes), la représentation exacte et dépourvue d'empathie des extrêmistes font de cette fresque, à l'origine série télévisée en trois épisodes, sortie en salles en version "courte" de quatre heures trente, une œuvre sans équivalents dans le cinéma français – et surtout pas le pâle Mesrinede Jean-François Richet.
Est-ce d'avoir replongé dans une période qui fut celle de sa découverte du monde – il avait 15 ans en 1970 – qui relança le désir d'aller plus loin dans l'exploration de sa veine personnelle ? Sans doute, puisqu'il enchaîna, après
Carlos et les années de plomb, sur le portrait d'une génération, la sienne, face au reflux post-mai 1968 et à ses conséquences :
Après Mai(2012) ou le conflit entre les rêves nés dans l'explosion des "événements" et la réalité rugueuse pour tous ces jeunes, lycéens ou étudiants, cherchant dans l'expression politique une échappée.
L'ordre moral et social, fugacement ébranlé, avait repris sa place et la répression policière s'occupait des groupes d'extrême-gauche trop remuants. C'est ce tableau des espérances militantes mises à mal qu'Assayas va tenter de dresser. Mais le fait d'avoir participé à un moment de l'Histoire n'en procure pas forcément une vision juste ni une plus grande aisance dans sa reconstitution. Aucun des films sur mai 68 et ses retombées, qu'ils aient été tournés à chaud ou plus tard, n'est parvenu à en recréer la dimension ni le parfum : que leurs auteurs en soient contemporains (Garrel, Bertolucci) ou non (Ducastel & Martineau), ils ont à chaque fois échoué dans leur récréation de l'époque. Et Assayas, même s'il ne s'intéresse qu'aux lendemains de mai, ne parviendra pas à animer de façon convaincante ses personnages ; l'appel à des comédiens inconnus (seule Lola Créton avait un passé) aurait pu constituer un atout, encore aurait-il fallu qu'ils aient des rôles à défendre.
Le film, s'il ne connut pas un échec critique (son auteur a toujours été bien admis), connut un échec public – comme d'ailleurs la plupart des films sur la période.
Après Mai avait décroché le prix du scénario à la Mostra de Venise, alors qu'il ne le méritait pas,
Sils Maria n'a rien obtenu à Cannes 2014, alors qu'il méritait beaucoup – au moins un prix d'interprétation conjoint pour Juliette Binoche et
Kristen Stewart. Car Assayas a retrouvé là sa grâce sans égale à diriger les actrices, impeccablement servies par un scénario remarquable, tout en nuances et finesse.
À partir du thème traditionnel de la star de 40 ans confrontée à une future star ayant la moitié de son âge et qui va reprendre le rôle qu'elle tenait vingt ans plus tôt (Eve de Mankiewicz n'est pas loin), le cinéaste va tirer des bords : l'image- miroir, l'ambiguïté des relations féminines, l'angoisse de l'interprète à un tournant, la dureté de la jeunesse, toutes choses pas neuves, mais traitées avec une justesse étonnante. Et un sens de l'espace naturel - la solitude de la montagne et ce nuage irréel envahissant la passe de Maloja - qu'on ignorait jusque-là chez lui.
Sils Maria est un film "de femmes", comme tous les grands films du cinéaste : si Juliette Binoche est parfaite, comme elle ne l'avait pas été depuis longtemps, Kirsten Stewart est une révélation, prouvant qu'elle valait mieux que l'idole pour adolescents de la saga Twilight (son César 2015 du meilleur second rôle est plus que mérité). 60 ans n'est plus un âge vénérable : on peut encore attendre beaucoup d'Olivier Assayas.