Il est fait prisonnier lors de la chute de Dien-Bien-Phu, qui marque, en 1954, la défaite de l'armée française face au Viêt-Minh. Il est libéré l'année suivante, mais son passé militaire va imprégner toute son œuvre, tant littéraire que cinématographique.
De retour en France, il rencontre Joseph Kessel, qui signe le scénario de son premier film, La Passe du Diable qu'il va réaliser, en compagnie de Jacques Dupont, en Afghanistan, en 1959. Son producteur est Georges de Beauregard, son opérateur Raoul Coutard, une équipe à laquelle il restera fidèle pendant une grande partie de sa carrière.
La même année 1959, il enchaîne deux adaptations de romans de Pierre Loti, Ramuntcho et Pêcheurs d'Islande, dont le faible écho ne lui permet pas de continuer dans le cinéma, et il passe à la télévision, où il devient grand reporter, spécialisé dans le filmage des conflits guerriers. Parallèlement, il écrit un premier roman à partir de son expérience indochinoise, La 317e Section, qu'il adapte à l'écran en 1965, avec Jacques Perrin et Bruno Cremer.
Le succès est justifié – on a rarement vu, dans un film français, une telle authenticité : le film a toutes les qualités d'un produit américain, et les années écoulées ne lui ont rien fait perdre de sa puissance. C'est la guerre comme si on y était, une remarquable réussite. Ce qui n'est pas le cas d'Objectif 500 millions, son film suivant (1966), plate histoire de hold-up tenté par des "soldats perdus", anciens d'Algérie mal réadaptés à la vie civile.
En revanche, le film qu'il va tourner au Viêt-Nam, embarqué avec l'armée américaine en guerre contre le Viêt-Cong, La Section Anderson, remporte l'Oscar 1968 du documentaire ; il s'agit d'un modèle dans le genre, encore utilisé, selon certaines sources, comme film de formation pour les troupes américaines.
Pierre Schoendoerffer cesse pourtant de tourner durant dix ans, le temps d'écrire deux romans, L'Adieu au roi (que John Milius adaptera en 1989) et Le Crabe-tambour, succès de librairie et Grand Prix de l'Académie française, dont il va faire un film, avec Jean Rochefort, Jacques Perrin et Jacques Dufilho. Film en forme de chant nostalgique sur une société militaire raidie dans ses valeurs, qui décroche trois César en 1978, mais dont l'aspect funèbre prime aujourd'hui : Schoendoerffer dépeint avec tristesse un monde en voie de disparition.
Disparition de valeurs qui est également le sujet de L'Honneur d'un capitaine, qu'il réalise en 1982 (avec Jacques Perrin, Charles Denner et Nicole Garcia), qui réanime les fantômes de la guerre d'Algérie, qui ne l'avait pas encore inspiré.
À l'occasion d'un procès intenté à un officier quant à sa responsabilité sur des exécutions de prisonniers algériens en 1957, il revient sur cette période occultée (les films sur la question se comptaient à l'époque sur les doigts de la main) ; le point de vue n'est certes pas celui des réalisateurs engagés à gauche, comme René Vautier ou Yves Boisset, qui dix ans plus tôt, aveint été les premiers à traiter le problème, mais Schoendoerffer n'a jamais caché son drapeau.
Est-ce pour exorciser un passé désormais lointain qu'il tourne en 1992 Dien-Bien-Phu, qui revient sur les circonstances de la bataille finale ? Sa sincérité et la vérité des faits et des personnages ne suffisent pas à raviver des cendres bien refroidies ; d'autres conflits plus récents sont venus occuper l'actualité depuis 1954 et l'Indochine n'est déjà plus à l'époque que de l'histoire ancienne.
Trop occupé sans doute par ses tâches à l'Académie des Beaux-Arts, où il a été élu en 1988 et dont il sera plusieurs années président, il ne revient au cinéma qu'en 2004, en adaptant un de ses romans anciens, Là-haut, sous le titre Là-haut - Un roi au-dessus des nuages. Film sciemment testamentaire : reprenant ses acteurs anciens, Jacques Perrin et Bruno Cremer, il les confronte, dans un jeu de miroirs ambigu, à leurs ancienne image en réutilisant des extraits de ses propres films. L'exercice est intéressant sur le papier, mais l'intérêt de la tentative se révèle limité et le film ne connut qu'un succès de curiosité.
Pierre Schoendoerffer, disparu le 14 mars 2012 à l'âge de 83 ans, représente un courant du cinéma français qu'il incarne en solitaire : la défense et illustration d'un monde de valeurs militaires basées sur l'honneur, la patrie, le devoir (aucun de ses films n'y échappe) que l'évolution des idées et des faits voue à l'extinction - la guerre n'est plus aujourd'hui qu'une affaire de spécialistes d'où le patriotisme est évacué. Mais son œuvre existe fortement, dernière de son espèce. Et son fils, Frédéric, également cinéaste, est attiré par d'autres domaines, comme le film policier, où par ailleurs il excelle…
Lucien Logette