Né en 1901, disparu en 1999, il réalise 13 films en quarante ans, entre 1943 (Les Anges du péché) et 1983 (L'Argent) et certainement, pour ces treize réunis, moins de spectateurs que pour le moindre blockbuster américain.
Une recherche constante de pureté visuelle, visant à l'épuration des sentiments : pas de comédiens professionnels (sauf dans ses deux premiers films, qui appartenaient à un modèle de représentation traditionnelle qu'il a ensuite rejeté), mais des anonymes, choisis pour leur visage ou leur silhouette, et qu'il persécutait pour obtenir ce qu'il attendait d'eux : une voix blanche, un ton monocorde, la non-expressivité parfaite.
Esthétique de la "rareté", qui peut expliquer à la fois l'admiration forcenée de certains - la rigueur du résultat correspondant à la hauteur de l'inspiration – et le peu d'appétit d'autres, qui cherchent sur l'écran des qualités spectaculaires minimales. En tout cas, Bresson a élaboré un univers, éthique et esthétique liées, tout à fait cohérent, sans compromissions, qui font comprendre les difficultés qu'il dut affronter pour monter ses films.
Il demeurait peu loquace sur ses premières activités (longtemps, il s'est rajeuni en affirmant être né en 1907) et ne tenait pas à voir figurer dans sa filmographie ni Les Affaires publiques, bon court métrage burlesque de 1934, ni ses participations aux scénarios des Jumeaux de Brighton (C. heymann, 1936) et de Courrier Sud (P. Billon, 1937), comme si sa vie commençait avec Les Anges du péché.
Réflexion sur la foi et l'engagement religieux, servi par un remarquable dialogue de Jean Giraudoux, le film demeure un des plus marquants réalisés sous l'Occupation ; Bresson y fait appel à des comédiennes aguerries, qui donnent tout son poids au drame (où déjà percent les thèmes de la grâce et de la rédemption qu'il reprendra dans tous ses films), comme Paul Bernard et Maria Casarès font des héros des Dames du bois de Boulogne (1945), dialogué par Cocteau d'après Diderot, des personnages inoubliables. Héritage littéraire, dans le meilleur sens, mise en scène savante : les deux titres restent des repères dans l'histoire du cinéma français.
Six ans plus tard, son adaptation du Journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos surprend par son désir de neutralité dans l'interprétation, la voix blanche de Claude Laydu, le prêtre du titre, la volonté de non-dramatisation de la narration. L'écran blanc final montre le chemin visé, l'effacement dans la lumière de la grâce. L'œuvre est austère, puissante, et la critique y reconnaît la marque d'un cinéaste déjà important.
On retrouve la même recherche d'un cinéma "pur", dégagé de toute influence, dans Un condamné à mort s'est échappé (1957, prix de la mise en scène à Cannes) : François Leterrier, comédien d'occasion et futur réalisateur, y joue "plat", afin que le spectateur ne soit pas détourné du propos par des artifices. Seul importe ce qui est dit, pas les événements, d'ailleurs limités (le pitch est dans le titre). Ainsi, si le film touche autant, ce n'est pas pour des raisons anecdotiques, mais par la vérité seconde qu'il atteint.
Cette même volonté d'ascèse visuelle – noir et blanc dépouillé, stylisation des mouvements et des gestes, suggestion plutôt que description de l'univers urbain où s'exerce l'activité du héros – éclate dans Pickpocket (1959), salué par une critique presque unanime, chavirée par ce refus de toute psychologie, ce gommage de tout ce qui est accessoire pour privilégier l'essentiel. Bresson signe une œuvre qui illustre ce qu'il affirmera dans ses Notes sur le cinématographe : "Bâtis ton film sur du blanc, sur le silence et l'immobilité."
Tous ses titres suivants, qui, pour ses admirateurs, font des années soixante la décennie la plus brillante de son œuvre, reposent sur ce principe. Le Procès de Jeanne d'Arc (1962), Au hasard, Balthazar (1966), Mouchette (1967), Une femme douce (1969) : qu'il aille chercher ses sujets dans l'Histoire, chez Bernanos de nouveau (Mouchette) ou chez Dostoievski (Une femme douce), il montre à chaque fois un trajet sur le chemin de la révélation et de la grâce. Jusqu'à présent, les "acteurs" qu'il avait utilisés n'avait brûlé de tout leur éclat que le temps d'un film ; Anne Wiazemsky, dans Balthazar, Dominique Sanda, la femme douce, commencèrent sous sa direction leurs carrières atypiques.
C'est une seconde fois à Dostoievski qu'il emprunte l'argument de Quatre nuits d'un rêveur (1971), rencontre de deux personnages étranges, nouvelle illustration de la phrase finale de Pickpocket, "Quel chemin il m'a fallu pour arriver jusqu'à toi". Lancelot du lac, en 1974, constitue pour lui l'expérience neuve d'une production "normale", avec des moyens financiers inhabituels, mais ce ne sont pas les aventures des chevaliers du Graal qui l'intéressent vraiment et il filme le retour de son héros à la cour d'Arthur en refusant tout agrément spectaculaire, ce qui peut justifier l'échec public du film – mais Bresson a-t-il jamais cherché l'assentissement du spectateur ?
Les récompenses pleuvent cependant : Le Diable, probablement obtient l'Ours d'argent au Festival de Berlin en 1977, le Grand prix du cinéma de création du Festival de Cannes 1983, créé quasiment pour lui, est décerné à L'Argent, son ultime opus, lointainement inspiré de Tolstoï. Mais il ne put ensuite monter aucun des projets qu'il envisageait et le prix René Clair, à lui attribué en 1995, pour l'ensemble de son œuvre, ne peut être considéré que comme un prix de consolation pour le silence auquel il était réduit.
Lucien Logette