Que se passe-t-il dans la tête de David Cronenberg ? Pas grand chose de plus que dans la nôtre : des pulsions sexuelles et meurtrières, une obsession pour le corps et un fétichisme déviant… Autant de marottes que le Canadien tient à révéler et à explorer dans des cauchemars aussi mécaniques qu’organiques. Retour, en deux films très différents, sur une œuvre addictive à laquelle Julia Ducournau, la réalisatrice de la récente Palme d’or Titane, doit beaucoup.

Rage (1976)

Autre question : qu’est ce qui fait baver les gens et les rend fous ? Une pulsion sexuelle longtemps réprimée répond David Cronenberg, en lecteur assidu de Freud, qui lui donne la forme d’un virus poisseux ravageant Montréal dans son quatrième long métrage. Un terrible accident de moto, un savant-fou au bistouri et voilà Rose, une jeune femme, patiente zéro d’une mystérieuse maladie qui lui assèche la gorge et lui donne une intarrissable soif de sang. Symboles phalliques omniprésents, Marilyn Chambers, l’une des premières stars du porno, en tête d’affiche et des assauts zombies ressemblant à des étreintes bestiales, Cronenberg fait exploser les tabous sexuels et les pudibonderies de la société dans un torrent de fluides divers. Une fois les vannes ouvertes, il est fascinant, et d’autant plus frappant à l’heure actuelle, d’observer comment le cinéaste imagine l’État se défendre contre ce péril dans une seconde partie en forme de clin d’œil appuyé à The Crazies, d’un certain George Romero. Avec Rage, le body horror du maître canadien prend forme...

Cosmopolis (2011)

Cronenberg se lance dans un projet fou, jugé irréalisable à l’écran (un autre, après Le Festin nu de Burroughs), en adaptant le roman de Don DeLillo, publié en 2003 et annonciateur de la crise économique de 2008. Robert Pattinson y incarne Eric Packer, homme d'affaires new yorkais déconnecté dont l’unique but est de traverser Manhattan pour aller chez le coiffeur, alors que le fond de l’air est apocalyptique. Un rôle charnière pour l’Anglais, gueule d’ange échappée de la saga Twilight dont la carrière décollera côté auteur, chez James Gray (The Lost City of Z) ou Claire Denis (High Life) après ce film. Au fil de ses déambulations dans une ville de New-York gagnée par le chaos, le trader invincible et glacial, personnage emblématique de l’époque, est peu à peu gagné par la fébrilité et la folie. En guettant ces signes de fébrilité, Cronenberg chronique la fin d’un monde. En compétition officielle à Cannes en 2012.