" ... un très beau et très grand film a surtout marqué ce week-end du Festival. Il s'agit d'Adalen 31, du réalisateur suédois Bo Widerberg, (Le Quartier du corbeau, Elvira Madîgan) qui, se référant à un événement historiquement vrai, évoque la grève dramatique qui éclata en 1931 dans une province du nord de la Suède.
Ainsi, dans une petite ville de la région d'Adalen, , les dockers ont cessé leur travail depuis plusieurs mois. Telle est la situation lorsque commence le film qui va exposer tout d'abord — et longuement à juste titre — ce que sont, font, éprouvent des hommes, des adolescents, des femmes, des enfants dans ces moments de faux calme précédant la révolte, l'action, la répression.
Il y a, au premier plan, la famille — très unie et heureuse malgré la pauvreté et les circonstances — de l'ouvrier Harald Andersson dont le fils aîné Kjell est un jeune homme qui aime la fille du directeur d'usine. Cela c'est le quotidien que Wideberg décrit sans schématisme et avec un tact, une vérité psychologique, un sens de l'intimisme très rares. Grâce à quoi il réussît à exprimer, par une seule attitude ou une brève scène, ce qu'il peut y avoir d'émouvant, de profond dans les relations humaines. La façon dont nous est donnée à voir, à comprendre la vie de cette famille est, à chaque instant, un exemple.
En contraste, mais indiqué avec une égale nuance, il y a l'autre "camp", celui de la bourgeoisie où l'on dispose des fleurs sur la table pour d'exquis dîners alors que les ouvriers manquent de pain, où l'on accorde le piano tandis que débutent les manifestations.
D'ailleurs, dans un premier temps, les jours, s'écoulent, pour tous, relativement paisibles : les enfants s'amusent, les garçons jouent du jazz, les amoureux se retrouvent en ressentant, avec une acuité d'autant plus grande qu'une menace pèse néanmoins sur eux, l'émoi, le bonheur des pures idylles (dans l'humour comme dans le romantisme ces scènes sont parfaites de simplicité directe et d'affecfectueuse innocence).
Puis, dans la douceur de l'air — on est au printemps, les filles portent des robes claires, bientôt l'un des soldats appelés pour arrêter les manifestants mettra une branche de lilas sur sa mitrailleuse, — le climat se durcit. Les grévistes chassent les « jaunes » amenés pour prendre leur place et organisent un meeting. Partisans d'une position "dure" s'affrontent aux non-violents, mais, déjà, c'est trop tard. Les drapeaux rouges apparaissent, les ouvriers défilent en foule en chantant l'Internationale et se heurtent à la troupe. Celle-ci tire : il y aura cinq morts.
Telle que la montre l'auteur, cette manifestation est bouleversante. Le mouvement collectif, qui prend une réalité épique, est constamment lié aux tragédies personnelles et il est imposible de rester insensible, après le drame, devant ces souffrances, ces cris, et surtout ces gestes fraternels qu'ont les grévistes pour leurs camarades mourants.
Des larmes nous viennent quand la femme d'Harald (tué aux côtés de son fils Kjell) ne sait, et ne peut dire que des mots banals — si violent et à la fois si pudique est son désespoir — et quand n'ayant pas les moyens de "se payer un deuil", elle doit réapprendre à travailler et même, si près de pleurer, à rire pour ses enfants.
Film politique (dédié aux manifestants assassinés), Adalen 31 traite sans ouvriérisme ni misérabilisme et aussi sans équivoque ni manichéisme des rapports de classes, des luttes du prolétariat
Mêlant la force (dans le sujet, l'action) à la tendresse (dans les sentiments, la stylisation où la couleur d'une tonalité bleu-gris et impressionniste a une part importante), Wideberg fait un constat qui est également une protestation humaniste, lyrique, ayant avec notre époque de rééls prolongements."
Yvonne Baby, 13/05/69