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Thomas et Francis braquent Wilfrid, propriétaire d’un ensemble de carwash. Contre toute attente, celui-ci se montre ravi de cette compagnie.
Thomas et Francis braquent Wilfrid, propriétaire d’un ensemble de carwash. Contre toute attente, celui-ci se montre ravi de cette compagnie venant égayer sa vie solitaire, et les autorise à piquer dans la caisse. Bientôt, Hélène et Lucie, deux copines du Sud, les rejoignent pour profiter de l’été à Poitiers. Claude Schmitz n’avait pas d’idées préconçues sur l’histoire du film. Il tournait chronologiquement, captant au jour le jour les relations entre ses comédiens, et discutait le soir. Le but était de capter des instants de vérité, et d’insuffler de la vie dans les images. Prix du jury étudiant au Champs Élysées Film Festival en 2019.
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"A priori, plusieurs caractéristiques pourraient nous rendre méfiant devant Braquer Poitiers. Sa bande de pied
"A priori, plusieurs caractéristiques pourraient nous rendre méfiant devant Braquer Poitiers. Sa bande de pieds nickelés à l’accent bruxellois - Thomas et Francis qui séquestrent chez lui le châtelain Wilfrid, propriétaire de stations de lavage automatique de voitures, afin de lui dérober chaque jour ses recettes - lorgne du côté d’un comique forgé à coups de trognes bien marquées et alcoolisées, qui ne nous étonne plus guère tant la comédie belge (et grolandaise) a épuisé ce filon depuis vingt ans. Par ailleurs, la méthode du cinéaste et homme de théâtre Claude Schmitz, consistant à partir sans scénario pour construire peu à peu son récit en fonction des improvisations de ses acteurs, aurait de quoi nous faire craindre la paresse d’un cinéma se contentant d’enregistrer l’excentricité en roue libre de pittoresques personnages.
Bien que sans cesse menacé par ces écueils, le film s’en sort pourtant avec une vraie délicatesse qui débouche sur une singulière émotion. Sa première force est de jouer sur la rencontre et l’harmonisation des contraires, principe qui l’empêche de s’appesantir dans un dispositif figé. Avec Wilfrid, qui accepte de subir l’improbable braquage dont il est victime tant qu’il le sort de sa solitude, Thomas et Francis se confrontent à un rapport à l’argent, au temps, à l’existence et à la parole très éloigné du leur. Peu à peu une étonnante complicité circule entre ces êtres réunis par un prétexte scénaristique qui relève plus du jeu enfantin que du film noir, et qui n’est au fond qu’une transposition de la situation même du tournage : une équipe de braqueurs ou de cinéma envahissant le château de Wilfrid Ameuille, dans son propre rôle, à la fois dépouillé dans la fiction et producteur du film dans la réalité. Une vraie drôlerie, puis un surprenant charme, et finalement de la mélancolie naissent de l’étrangeté spontanée (ou de l’étrange spontanéité) de leurs discussions et moments partagés.
Dans cette productive confusion entre le tournage du film et sa fiction, on assiste «en temps réel» à la façon dont les acteurs s’approprient plus ou moins un plan ou une scène. Et à ce jeu, c’est bien Wilfrid Ameuille qui parvient à remporter la mise, comme son personnage réussit à passer de victime à maître du jeu. Le film s’accorde à sa singulière et attachante personnalité, jusqu’à finalement en devenir le portrait. Et ça n’est pas simplement pour transformer un moyen métrage en long que Schmitz a ajouté un épilogue de vingt-six minutes au film de cinquante-neuf minutes qui avait jusqu’à présent fait le tour des festivals et remporté un prix Jean-Vigo.
Cet ajout automnal, intitulé Wilfrid, célèbre ce que le film et l’acteur se doivent mutuellement, en abolissant plus encore toute distance entre réalité et fiction, jusqu’à faire réapparaître un personnage que l’on croyait mort ou montrer des flyers annonçant les projections de la précédente version de Braquer Poitiers. Cet addenda est moins une suite au récit que le prolongement à la fois festif et tendre de la belle connivence que le premier tournage avait engendré - il nous montre combien la fabrication d’un film peut aussi aboutir à la naissance d’une bande d’amis. C’est du moins ainsi que le solitaire Wilfrid l’a vécue, et il semble vouloir que ça ne s’arrête jamais."
"Lorsque Thomas et Francis se rendent à Poitiers pour braquer Wilfrid, le propriétaire excentrique d’un car w
"Lorsque Thomas et Francis se rendent à Poitiers pour braquer Wilfrid, le propriétaire excentrique d’un car wash, celui-ci se montre étonnement conciliant. Cet argument, dont découle la veine burlesque de Braquer Poitiers, n’est pas sans rappeler Les Bas-Fonds de Jean Renoir, dans lequel un baron désargenté et un voleur, interprétés respectivement par Louis Jouvet et Jean Gabin, deviennent amis. Le noble se mêle ainsi au trivial lorsque le lave-auto apparaît sur une reprise de Bach, ou qu’Hélène et Lucie, deux filles du Sud de la France venues rejoindre les deux hommes, se prennent en selfie au milieu d’une fête de village. Le comique de situation est accentué par l’aspect documentaire du film, né de la rencontre avec Wilfrid Ameuille qui incarne ici son propre rôle et que l’équipe « braque » en s’installant chez lui et en finançant une partie du projet avec son argent. Improvisé au jour le jour avec des acteurs non-professionnels pour la plupart, Braquer Poitiers impressionne par sa spontanéité et la cohérence du résultat final.
Une de ses réussites est d’accompagner le retournement de situation initial d’un renversement du rapport de force et, plus largement, d’une subversion des valeurs. Loin de le mettre en position de victime, la sympathie de Wilfrid alimente la méfiance de l’une des filles qui le soupçonne de profiter de la situation. De fait, le personnage ressort souvent gagnant : lorsque Francis lui dérobe des fleurs, il lui reproche de ne pas avoir fait un assez gros bouquet, réduisant à néant la portée subversive de son acte. Il tire même profit du braquage en y voyant une occasion d’arrêter de fumer. Thomas et Francis apparaissent à l’inverse comme des gangsters à la ramasse, des bourreaux non-violents fatigués de ne rien faire, qui emmènent Wilfrid se baigner au lieu de le séquestrer et sont en proie à des remords. Tandis qu’ils se révèlent incapables de tenir les comptes, les femmes prennent les choses en main, bousculant au passage les stéréotypes de genre.
Le film trouve pleinement son équilibre grâce à une seconde partie à la tonalité plus mélancolique. Tandis que Braquer Poitiers se déroule l’été, l’action de Wilfrid a lieu en automne, au moment où le personnage abandonné par les braqueurs éprouve « la splendeur de l’isolement ». C’est un orage qui annonce la crise à venir (« Ça va péter », dit Francis à Hélène), la météo extérieure faisant écho au climat intérieur des personnages. Centré sur Wilfrid, l’épilogue délaisse la fiction de la première partie : les deux filles ont ainsi perdu leur accent tandis que Thomas Depas (Thomas) est à peine reconnaissable.
La fête que Wilfrid organise chez lui dans la seconde partie incarne pleinement la dimension politique en germe dans Braquer Poitiers. Ce banquet lui permet en effet de « reconvoquer la puissance de la terre » et de poursuivre le travail qu’il avait entamé en apprenant à deux jeunes dealers à manipuler les outils de jardinage ou en faisant découvrir aux braqueurs « l’authenticité » des ruraux. Le film lui-même porte d’ailleurs la marque de cette attention à la nature, à travers de très beaux plans de paysages baignés dans la brume ou la lueur rougeoyante d’un coucher de soleil. Le rassemblement représente surtout pour cet humaniste profond l’occasion de faire « revivre un hameau » : très « à cheval sur les mots », il semble trouver dans la communauté le sens qu’il voit disparaître progressivement du langage, une « catharsis » qui lui permet de s’arracher à la solitude et à l’absurdité du monde. Le groupe apparaît d’autant plus utopique qu’il est formé d’individus a priori opposés, ce que le film accentue en usant d’archétypes comme le Belge ou la cagole. Entre conte rohmérien, fable chevaleresque et film de gangsters, Braquer Poitiers trouve lui aussi son harmonie dans le mariage d’éléments disparates."
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