" Dans la brume est un film dont on sort dans un état second, après avoir été tenu en haleine pendant 2 h 10. Malgré sa lenteur, malgré son ton solennel, la tension y est palpable à chaque instant. Car dans l'histoire, terrible, qui se déplie ici autour de trois personnages, en trois flash-back autonomes, le moindre mot, le moindre geste, est affaire de vie ou de mort.(...) Entre les flash-back qui retracent trois moments décisifs de la vie, pendant la guerre, de Shushenya et de ses deux bourreaux, un système d'échos se tisse, fondé sur une même morale, héritière de celle de Primo Levi : à une telle époque, rester en vie se paye d'une culpabilité et d'une honte éternelles. (...)
Héritier de la grande tradition du cinéma russe, Sergei Losnitza filme la forêt comme une puissance terrassante, un grand monstre sombre qui engloutit dans son silence les supplications de ceux qui s'y sont égarés. Etirés dans la durée, jouant magnifiquement de la lumière naturelle, les plans sont d'une densité fascinante. Le son y joue un rôle majeur, en particulier pour représenter la mort. Toujours hors champ, comme si chaque mort renvoyait à toutes les morts, elle se manifeste par un bruit - de fusillade, de chute des pendus - d'autant plus atroce qu'il est aveugle.
La démarche de Loznitsa n'est pas sans évoquer celle de Paul Verhoeven dans Black Book, autre film contemporain sur la seconde guerre mondiale, aussi baroque et pétaradant de couleurs que celui-ci est sobre et infiniment gris. Le cinéaste néerlandais revisitait ce pan de l'histoire tant et tant mis en scène en l'envisageant lui aussi comme un cancer corrupteur de tous les esprits. On retrouve, en outre, dans les deux films, l'idée selon laquelle la Résistance a pu servir des motifs opportunistes, pas toujours les plus nobles. Comme si le temps était enfin venu, pour le cinéma, d'entrer dans la zone grise qui caractérisa cette période."
Isabelle Regnier
C'est l'inverse d'un conte et pourtant c'est presque le décor de Grimm