"Toucher à la maturité en exaltant les saveurs de sa jeunesse et sans basculer dans le gâtisme répétitif. Quentin Tarantino réussit ce tour de force avec un sens du panache, un goût de plus en plus prononcé pour le burlesque et un second souffle plus vigoureux encore que dans son précédent film. Ce qui ne l’empêche pas de poursuivre encore et toujours les composantes de son cinéma, avec ses tics, ses manies, son obsession cinéphilique mais aussi son enthousiasme contagieux (...).
Cette vision du cinéma tout-puissant, et donc de l’imaginaire et du merveilleux, qui fait disparaître de la surface du globe la pire des réalités de notre siècle, ne manquait ni d’audace ni de gueule. Avec Django Unchained, le processus est du même tonneau, s’attaquant cette fois à l’esclavage, autre réalité hideuse dont l’Amérique n’a pas fini de payer le prix. Fidèle à sa méthode, il refait donc l’histoire, inventant un esclave (Django-Jamie Foxx) affranchi par un dentiste allemand dépositaire de la culture classique européenne (Christoph Waltz) qui, de surcroît, lui donne un sérieux coup de main pour récupérer sa jeune et jolie femme. Et Tarantino ne se prive pas de punir cette honte nationale dans un flamboyant finale, au mépris réjouissant de toute réalité historique.
Cette confiance absolue que Tarantino accorde au cinéma et à son pouvoir de bousculer une société un peu trop policée et correcte à son goût n’est pas une posture. Les débats houleux qui agitent la sortie du film aux Etats-Unis, à propos de la violence, de l’utilisation sans mesure du «n-word» (nigger), et de la question raciale qui reste, envers et contre tout, une épine dans le pied de l’Amérique, confirment la pertinence, sinon l’efficacité, de ses convictions.
Et puis, il y a le film lui-même, formidablement rythmé, jalonné d’idées loufoques parfois très drôles (la scène des Blancs racistes qui se disputent à propos du port ou non de la cagoule) parfois plus laborieuses (Samuel Jackson en caricature d’Oncle Tom) et bourré jusqu’au plafond de références et d’hommages au western, spaghetti ou non (lire page IV-V). Le film donc, qui démontre que Tarantino peut puiser indéfiniment dans sa malle à souvenirs et son répertoire à émotions puériles, il en sortira toujours quelque chose de moderne, un comble pour un type qui considère le baroque des séries B comme le sommet du classique.
Encore une fois, il a su soigner les attentes de toutes les factions de son fan-club : inconditionnels de la fusillade musclée, adorateurs des dialogues ciselés, fervents des attitudes cool… Il n’a évidemment pas oublié les acteurs, offrant à DiCaprio son premier grand rôle d’ordure et composant avec Christoph Waltz une association qu’on espère durable. Le nazi qui propageait les ténèbres dans son précédent film est devenu le messager des Lumières de la vieille Europe. Il fallait bien un Dr Schultz, un dingue érudit aussi anachronique dans les plantations sudistes que, jadis, le western en Italie, pour effacer l’horreur d’un système qui interdisait au reste du monde de rêver à l’Amérique.
Bruno Icher