" ... ce n'est pas le premier film où Woody nous avoue sa peur du réel, les coups sur la tête que prend l'être humain quand il se confronte à une vie où il ne peut que se sentir mal à l'aise, puisqu'il ne la maîtrise pas. Généralement, l'art, et surtout le cinéma, servait à l'homme de garde-fou. De garde-flou.
Dans La Rose pourpre du Caire, Cecilia, au bout du rouleau, se laissait happer par l'écran où dansaient deux bons génies irréels : Fred Astaire et Ginger Rogers. Et dans Hannah et ses soeurs, le héros, au bord du suicide, se soignait par l'absurde. Il retrouvait un sens à l'existence en allant voir la Soupe au canard avec les Marx Brothers ! Ici, Harry l'écrivain ! est un pauvre type. Il picole, se gave d'amphétamines, demande aux putes qu'il fait venir de l'attacher, de le cogner un peu et de lui faire une fellation. « Dans cet ordre, sinon ça ne marche pas ! »(...)
Après la parenthèse radieuse de Tout le monde dit I love you, Woody revient donc à l'observation de nos moeurs, entreprise dans Une autre femme, Crimes et Délits, Maris et Femmes. Mais, cette fois, tout est exacerbé : le sentiment d'être constamment floué par les événements et la certitude que ça n'a, en définitive, aucune importance... La sexualité, filmée plus agressivement que d'habitude. Le dialogue, particulièrement cru. Et, pour la première fois, Woody se permet de dire clairement que tous les fanatismes religieux sont détestables. Tous, sans exception, y compris le fanatisme juif.
Morale de cette lucidité et de cette audace : Harry se retrouve seul. Les vivants l'ont abandonné. Et son copain décédé, qui lui apparaît, lui affirme que la mort, ce n'est pas vraiment la joie. Seuls les personnages de ses livres, ceux qu'il a inventés avec la douleur des autres, l'entourent et le réconfortent. Ils l'applaudissent. Il les remercie. Mais c'est une sorte de mariage forcé : sans lui, ils n'existeraient pas ; sans eux, il ne serait rien. C'est noir. C'est très noir. Mais, avec Woody, plus c'est noir, plus c'est drôle."
Pierre Murat
