Un clown, atteint d'une maladie neurologique, rêve de devenir humoriste mais il se heurte à la dureté de la ville où il vit et bascule dans la folie.
Arthur Fleck vit avec sa mère malade dans la ville violente et sombre de Gotham City. Il est atteint d'une maladie neurologique qui provoque des crises de rire impromptues, et peine à distinguer la réalité de ses fantasmes. Il rêve de devenir humoriste et de passer à la télévision dans le show d'un présentateur très populaire, le grand Murray Franklin, qu'il regarde tous les soirs, et d'y triompher. En attendant, il fait le clown dans des hospices pour enfants ou comme homme-sandwich dans la rue. Après s'être fait tabasser dans une ruelle par une bande de voyous, un de ses collègues clown lui offre un revolver. L'avènement du Joker est proche...
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"Il court, il court. Il court à perdre haleine, avec ses chaussures de baleine, démesurées. Il court, il s’
"Il court, il court. Il court à perdre haleine, avec ses chaussures de baleine, démesurées. Il court, il s’entrave dans sa propre course folle, il tombe, il se relève. Il court après des enfants, méchants, qui lui ont volé sa pancarte. Il court, il tombe, il est roué de coups, il gît au sol, sur le pavé sinistre de Gotham City, dans une rue sombre. Joaquin Phoenix entre en scène, il est habillé en clown, il entre et, déjà, fait entrer dans la lumière un Joker singulier et puissant.
Joker entre en scène dans son nouveau costume de cinéma. Il entre, grimé, grimaçant, haletant, souffrant comme on souffre avec sa douleur, comme un souffre-douleur, un mal-aimé. Il n’est pas encore le Joker, et voilà toute l’histoire de cette nouvelle adaptation de l’un des héros iconiques de DC Comics. C’est une histoire des origines : comment le Joker est devenu le Joker. Un questionnement d’identité.
Enfin, DC Comics cesse la course folle à la surenchère, dans une guerre d’influence avec Marvel. Warner ne copie pas Disney. Enfin, DC entre dans la tête d’un super-vilain. L’intime versus la folie des grandeurs commerciales. L’artifice des effets spéciaux cède la place à la vérité de l’homme, du héros, du personnage. Enfin, on prend l’air, on sort du moule industriel ; enfin, un auteur bouscule la mode et les modèles devenus standards, dans une forme personnelle et originale.
Hâve et somnambulique, Joaquin Phoenix ne sera le Joker qu’en toute fin. Tout au long du film, il est Arthur Fleck, enfantin et fragile dans son corps trop grand d’adulte qui vit avec sa mère adorée, dans un pauvre appartement où l’on regarde la télé. Arthur Fleck rêve de scène, de lumière et de rire. Il rêve de rire, de faire rire, il rêve de stand-up et de comédie comme rêvait avant lui Rupert Pupkin joué par Robert De Niro dans La Valse des pantins de Martin Scorsese. C’est drôle, d’ailleurs : De Niro, dans le Joker de Todd Phillips, a traversé le miroir, il joue Murray Franklin, la vedette d’un show télé comique au faîte de sa gloire, qui inspire le jeune Fleck, artiste raté, dont les étoiles dans les yeux ne cessent de pâlir à la vue de la dureté d’un monde qui n’est pas le sien et qui le rejette.
Le Joker est un marginal, un exclu et un survivant. Il voudrait avancer, mais la société dresse ses murs infranchissables. Il lui oppose le rire. Son rire. Un rire irrépressible qui est un rire de désespoir et de folie. Mais ce rire est impuissant, et il s’arme bientôt, inquiétant, de la plus grande des violences, brutale et inhumaine. Le Joker, le grand méchant, est prêt à prendre la place de l’enfant inoffensif et innocent qui voulait simplement faire rire. Il est prêt pour la plus sauvage barbarie, un rire de sang. Le Joker de Todd Phillips est un enfant du trauma, troublé de visions de cauchemar. L’enfant trop seul d’une mère dévorante et toxique et l’enfant d’un monde qui n’a pas voulu de lui et dont il se venge.
Joker dépouillé et squelettique, presque cadavre ambulant, Joaquin Phoenix se mue en héros spectral et ambigu de tragédie shakespearienne, promis à un sombre destin. Sous son maquillage clownesque d’une pâleur glacée, il donne une irrésistible et attachante folie au Joker, œuvre malade, littéralement insensée. D’une beauté dramatique stupéfiante, l’acteur attrape la lumière dans l’obscurité funeste de Gotham City, produisant une performance qui est, à ce jour et sans conteste, sa plus grande.
Soutenu par la partition sonore anxiogène hypnotique de Hildur Guðnadóttir, Joaquin Phoenix déplace Joker dans un monde aussi détraqué que burlesque. Il danse, corps souple, gestuelle déliée. Il danse au bord des gouffres, dans un défi gravitaire à la chute, comme mû par la recherche d’une énergie intérieure qui le ferait tenir debout. Il danse comme une danse de mort et de liberté."
"Joker est un déchaînement. S’il se déchaîne sur nous, il déchaîne aussi quelque cho
"Joker est un déchaînement. S’il se déchaîne sur nous, il déchaîne aussi quelque chose de nous, ce «nous» dont il met d’ailleurs en question l’existence, ou dont il montre à quel point l’existence est par ailleurs remise en question. Il le fait non pas avec «une rare violence», selon l’expression consacrée, mais avec toute la violence actuelle, abondante, en circulation autour de lui, aux Etats-Unis et ailleurs. L’histoire en cours de sa réception déchaînée vaut d’ores et déjà comme une bonne capsule de notre époque. Et si ce qu’il déchaîne est avant tout de l’ordre de l’opinion, et des flottements de celle-ci, c’est aussi parce qu’il l’enchaîne ou le réenchaîne en permanence à ses interprétations possibles, multiples, plus périlleuses et inconfortables les unes que les autres, toutes violentes, et insuffisantes, mises en tension à l’intérieur du film.
Toujours est-il que Joker transforme, en sachant qu’il le fait et en sachant ce qu’il fait, une violence environnante (sociale) en violence de cinéma. Il le fait avec colère et avec méchanceté, deux grandes vertus d’Hollywood dont Hollywood, d’habitude, ne se vante pas ouvertement, préférant les distiller en douce plutôt que de nous les lancer, comme ici, en plein visage. Il fallait peut-être un Todd Phillips. Qui est Todd Phillips ? Personne, un réalisateur (Starsky et Hutch, trois fois Very Bad Trip) ou un clown de réalisateur. Un type très louche. Il fallait Joaquin Phoenix. Qui est Joaquin Phoenix ? Un acteur, et il fallait un acteur, qui jouerait le clown d’un acteur, ou le clown d’un clown, c’est-à-dire quelque chose d’exagérément ridicule et inquiétant.
Avec colère et avec méchanceté, Phillips et Phoenix disloquent et réinventent de toutes pièces le Joker, célèbre méchant de Batman, pour porter un coup fatal à l’ère Marvel Studios, en faisant l’inverse d’un film de comics ou de super-héros convenable, tout en en singeant la mécanique héroïque : en prenant sans réserve le parti du mal, sous son plus mauvais jour possible, sans le présenter comme le parti du bien, donc sans rien renverser des valeurs en circulation, laissées telles quelles à leur point de confusion maximal, et sans lui chercher d’excuses (tout au plus quelques explications biographiques incertaines).
Arthur Fleck, souffre-douleur absolu, clown à la petite semaine, humoriste raté, psychotique bientôt psychopathe, vit avec sa mère dans les marges d’un Gotham City qui réplique en tout point le New York du début des années 80 et de l’ère Reagan, ère pré-Trump, époque Trump Tower. Un concours de circonstances - combinant l’aggravation de son état mental suite à la fermeture du service qui le suivait, le durcissement de l’atmosphère politique et médiatique, des inégalités et de la précarité urbaine, et une série de révélations brutales sur ses origines - le pousse à des passages à l’acte de plus en plus incontrôlables et meurtriers, déchaînant bientôt le chaos et la révolte dans les rues de Gotham, et donnant naissance au personnage du Joker tel que la tradition le connaissait jusqu’ici, mais rendu bien plus angoissant d’être passé, sous nos yeux et en deux heures, du coin de la rue à la légende. Or c’est le coin de la rue qui part ici en flammes avant la légende, et tout ce que le spectateur de Joker croira y reconnaître du monde où il vit le plongera dans un malaise et dans une tension dont le film joue, bien décidé, comme son personnage, à tous nous niquer la tête.
Plutôt que de passer le temps du film à se demander si son «discours», peut-être introuvable, penche du côté de Trump ou de son contraire (anti, mais anti-quoi ? antidote ou antifa, peut-être anticapitaliste, plus sûrement anti-tout), partagé entre deux négativités (entre une violence et son opposé, encore indistinct), avec des arguments solides dans chaque direction de l’interprétation, on a tout intérêt à s’abandonner à cette tension dont le film propose de jouir tout en présentant cette jouissance comme impossible.
Mais tous ces éléments, réactionnaires ou progressistes (pour les formuler avec les mots d’un dualisme américain que Joker cherche à faire exploser, en demandant aussi en creux à qui cet effacement profite), dans le contenu comme dans la forme, ne reposent en définitive que sur les épaules décharnées de l’acteur. Joaquin Phoenix joue en Arthur Fleck l’anticomique qui espère tant accéder à la célébrité par un art du stand-up dont il est profondément incapable, moins la folie de Joker (celle, anticomics, qui nous dit que le capitalisme rend fou) que la folie de l’acteur en général, son désir d’être vu, et pas seulement d’être vu mais regardé, et moins d’être regardé que d’être aimé, et plus encore qu’aimé, d’être compris. Folie par quoi le cinéma (américain) existe, ici bizarrement avouée et déconstruite par un jeu entièrement en force, un surjeu, mais qui ne joue que son impuissance et sa faiblesse à être quelque chose en vérité. Un post-jeu.
Si on se souvient que Walter Benjamin, en 1939, mettait en parallèle la vedette et le dictateur, la star et le Führer, leur nouvelle stature commune modifiée par l’invention du cinéma et de la radio, par la «sélection devant l’appareil», on comprend peut-être pourquoi le seul film cité directement par Joker est un film de Chaplin (pas le Dictateur mais les Temps modernes), et un peu mieux ce que le film fait en réinventant pareil clown triste, et la contagion de ce clown, son extension, sous forme de masques, à tout Gotham qui brûle. C’est tout le cinéma que Joker brûle, et il fait mouche. Or un film ne fait pas mouche par les éléments qu’il prélève directement sur le social (colère populaire, brutalisation du monde, grimaces d’un pouvoir à double face, Joker-Wayne), mais pas non plus par les solutions de figuration qu’il leur trouve : plutôt par celles qu’il ne leur trouve pas, les problèmes de représentation qu’il se pose et qui restent insolubles le temps d’un film, comme ils le restent en dehors de lui dans la société. Le génie de Joaquin Phoenix est de ne pas trouver, devant nous, comment jouer (interpréter) Joker, mais d’exposer seulement le désir et l’urgence de le faire. Il met le spectateur dans la situation identique d’une interprétation politique urgente, mais qui se dérobe sans cesse sous la gesticulation, affolée et nymphomane, des images du pouvoir et du pouvoir des images."
"Voici le lion d’or de la Mostra de Venise. Un grand film, entend-on dans un brouhaha de dithyrambes où les avis se m&eci
"Voici le lion d’or de la Mostra de Venise. Un grand film, entend-on dans un brouhaha de dithyrambes où les avis se mêlent au vacarme promotionnel. Un geste inouï de la part d’un studio comme Warner, qui a osé financer un blockbuster de super-héros d’une telle noirceur. La major de « Bonnie et Clyde » et de « la Horde sauvage » ! Les temps ont bien changé. « Joker » n’est pas une histoire de super-héros ni tout à fait un blockbuster (60 millions de dollars de budget, c’est un tiers du coût de « The Dark Knight », un sixième de celui d’« Avengers Endgame »). Et tant mieux. On le doit à Todd Phillips, tâcheron rusé (la saga comique « Very Bad Trip ») transformé ici en recycleur habile. Il s’empare d’une mythologie à la mode (les origines de l’ennemi de Batman) pour ressusciter un cinéma américain qui ne l’est plus (les films contestataires des années 1970).
Son audace consiste à épouser le point de vue d’un sociopathe, à la manière du « Taxi Driver » de Scorsese. Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) vit chez sa maman, malade et shootée aux talk-shows, et fait le clown-sandwich dans les rues de Gotham, copie du New York crapoteux de 1981, année record en termes de violences. Victime d’une déficience neurologique qui le rend hilare quand il se sent mal, prisonnier d’un quotidien sordide et des injonctions au bonheur de sa mère, Arthur rêve d’une carrière de comique et de passer dans l’émission de son idole, Murray Franklin (Robert De Niro, dans un rôle en écho à celui de « la Valse des pantins »). Son agression dans la rue par des petits voyous marque le début d’une descente aux enfers dont le gentil garçon se libérera en virant histrion psychopathe, leader malgré lui d’un soulèvement populaire de clowns révolutionnaires.
Du rire jaune aux « gilets jaunes », de la détresse individuelle au chaos social, la trajectoire du personnage, lourde de sens, cristallise les maux de l’Amérique actuelle : mépris des puissants pour les faibles, impunité des riches, aides sociales en berne, port d’arme meurtrier, cynisme du show télévisuel. Ne cherchez pas dans le film l’ambiguïté ou la complexité de ses modèles autoproclamés (ajoutons-y « Network » et « Un justicier dans la ville »). Todd Phillips leur préfère la force de l’iconographie pop et une emphase, héritée de Christopher Nolan (la musique appuie chaque effet dramatique), qui s’amenuise à mesure qu’Arthur devient le Joker et que Joaquin Phoenix s’empare du spectacle. Epoustouflant, l’acteur au mal-être viscéral passe par les différents états de la folie avec une élégance kamikaze qui le distingue de ses illustres prédécesseurs, de Jack Nicholson à Heath Ledger."
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