" Voici venus les nouveaux Amants du cercle polaire mâtinés de Dario Argento ! Excellente surprise que ce film bourré d’angoisse à ras bord, se télescopant sur quatre époques différentes (de 1984 à aujourd’hui) autour du destin contrarié de deux êtres aux plaies à vif, tentant tant bien que mal de survivre au milieu des regards...tous ces regards qui les auscultent, les jugent, sans connaître le drame qu’ils ont connu durant leur enfance.
Alice et Mattia se rencontrent au collège. Ils ne sont pas comme les autres. Adolescents mutiques aux visages renfermés, tour à tour effrayés par leurs camarades (forcément cruels - on oublie toujours à quel point on peut être con à cet âge-là -), fascinés par leurs premiers émois (qu’eux ne peuvent vivre, étant considérés comme des « freaks ») ou sadisés brutalement par les mêmes (les scènes de vestiaire sont d’une rare violence psychologique). Entre grands brûlés du cœur, Alice et Mattia se reconnaissent, sans même avoir à se parler.
Dans le roman à succès de Paolo Giordano, les deux scènes traumatiques originelles ont lieu dès les premières pages. Costanzo fait le choix de les situer en milieu de bobine. Et c’est là toute la force du film et son intelligence : en nous faisant vivre des scènes du quotidien des deux personnages sur différentes périodes (centrées sur leur famille, étouffante, névrotique et leurs « premiers pas » au dehors de ce microcosme pourri de l’intérieur), le réalisateur prend le parti de créer un suspense oppressant autour de l’origine de ce qui les a blessés et transformés à jamais. Quand le drame survient, on SAIT ce qui les a menés là, on est plein d’empathie pour eux. Les comédiens se sont tous surinvestis dans le projet. Alice, qui souffre dès l’adolescence d’anorexie, et Mattia, qui s’automutile et s’épaissit au fil des ans, sont totalement méconnaissables à la fin du film, devenus fantômes et animaux à la fois. Ils sont joués par six acteurs, tous plus puissants les uns que les autres (mention spéciale aux enfants qui n’ont vraiment pas hérité de rôles faciles à porter).
Leur révolution passe par le corps, en silence, et aucun dialogue n’est nécessaire.pour nous faire éprouver la force de ce qui les tenaille. L'amour est là, entre eux, mais comment s’émanciper, connaître le bonheur quand on est « boiteux » physiquement et moralement et que trop de mémoire vous fait imploser ?
Costanzo a une patte indéniable : il rend hommage aux films d’horreur des maîtres des années 80 (Argento, Carpenter, De Palma) en empruntant au fantastique, en jouant avec des filtres de couleur vives au gré des émotions qu’Alice et Mattia ressentent intérieurement, en stimulant nos nerfs avec une musique omniprésente et symboliquement chargée. Isabella Rossellini revient à ce qu’elle sait jouer le mieux : les mères sérieusement flippantes.
Un long rêve glacial, sensitif et sensuel. Un film-puzzle sur le poids de la culpabilité, les cicatrices du temps et l’incommunicabilité. Une pure réussite."
Alexandra Louvet, n°40, mai 2011