" C'est une foule de détails qui viennent circonscrire, comme par des touches subtiles, le motif central, un ménage uni, confiant, vaillant jusqu'à l'héroïsme sans le savoir. Il y a dans ce prosaïsme une sorte de poésie de haute classe dqu'il n'est pas aise de libérer. On pénètre dans ce film par l'escalier de service. La cuisine, la chambre, la poussière sur les objets, les objets eux-mêmes, les plus modestes, deviennent des personnages à la manière d'Ibsen (on se souvient de la Tour de “Solness”, de la boite aux lettres de “Maison de poupée”), ou c'est encore l'avion familial mis au point la nuit dans le garage ou le piano de la fillette qui sont préposés à jouer un rôle considérable.
Cette esthétique est à l'antipode de l”école russe avec ses angles rares, de la manière expressionniste allemande ou du confort ouaté du film américain. Le style de Grémillon est, ici, essentiellement français, selon la tradition d'un renoir, d'un René clair qui, l'un des premiers, a jeté les bases de notre école contemporaine, à la manière aussi d'un Bernard-Deschamps, dont Monsieur Coccinelle procède d'une même essence (…)
Au fond, Le ciel est à vous constitue un vaste poème d'amour, d'amour réciproque, humble et total (…) On s'en aperçoit à peine tant l'idée, ici est une résultante. Les petits côtés des choses cachent les grandes, c'est pourquoi ce film éveille en nous de profondes résonances et fait réfléchir. Il est riche d'une observation constante, fine et malicieuse. Le portrait de la belle-mère qui récrimine sans cesse, est un modèle du genre et l'on sent que Grémillon musicien (à qui l'on doit le commentaire musical de son propre film Tour au large) s'est amusé, voire vengé de la stupidité du petit bourgeois dès qu'il s'agit de musique. La chute du piano lors du déménagement, l'achat d'un nouvel instrument où le choix du meuble a failli survlasser les préoccupations de timbre, la petite pierre, que dis-je, le pavé métaphorique qu'il lance sur les trompettes d'Aïda, tout cela porte sa griffe, comme elle se retrouve dans le souciconstant de faire jouer à la musique au rappel de certains effets sonores (chute du piano), à la chanson populaire, un rôle constructeur des plus importants."
Arthur Hoérée, 02/01/1944