"Qu’il est doux parfois de s’abandonner au plaisir simple que procure un long-métrage ! Comme dans un formidable concerto ou une sonate délicate, on a envie de s’envoler à l’unisson des notes de musique, de se laisser simplement porter par un torrent d’émotions contrastées... C’est un peu l’impression transmise par Le concert de Radu Mihaileanu : on a beau déceler ici ou là deux-trois lourdeurs, un certain manque d’unité scénaristique, le fait est qu’on ressort de la salle avec le baume au cœur, tandis que les plus délicieuses octaves nous trottent encore dans la tête. Après la tragi-comédie absurde de Train de vie et le mélodrame bouleversant Vas, vis et deviens, le cinéaste slave nous revient avec un film plus léger et plus calibré, au ton de franche farce (du moins en apparence), voué à un succès public largement mérité.
Mihaileanu reprend à son compte un motif typique de la comédie sociale : celui de la bande de ratés qui réalisent leur rêve à force d’acharnement, de solidarité et de péripéties rocambolesques. Comme Les Virtuoses en son temps, il met ce schéma au service d’un thème fédérateur, la grande musique classique : ici, c’est un chef d’orchestre russe déchu par le régime staliniste (Alexei Guskov) qui part à la conquête de Paris, pour jouer du Tchaïkovski au théâtre du Châtelet, non sans l’aide de son « orchestre » composé de clochards magnifiques. L’occasion d’une galerie de portraits hilarante, jamais loin de la grosse caricature à la sauce slave ; car ici le ton n’est pas franchement léger, il ouvre grand les vannes, généreux, débordant, chaleureux, sortant la grosse caisse pour les gags et les violons pour les scènes d’émotion (on vous aura prévenu). Pour autant, on aurait tort de bouder son plaisir : après un démarrage un peu poussif, le spectacle prend son envol, enchaînant les situations burlesques et les dialogues les plus drôles sur un rythme dément. La première partie en Russie débute comme une fantaisie à la Kusturica, puis Le concert trouve une énergie nouvelle lorsque sa troupe de branquignols débarque à Paris : dès lors, Mihaileanu mêle plus intimement humour et émotion, avec maestria, se gaussant du choc des cultures franco-russe et des clichés ethniques (la bouffe, la vodka, le communisme, la mafia) tout en dessinant en souterrain une ligne scénaristique plus grave (le mystère de la naissance d’Anne-Marie Jacquet/Mélanie Laurent, le sort des juifs sous la répression staliniste), montrant, si besoin était, que le cinéaste roumain ne perd pas de vue les thèmes socio-politiques qui lui sont chers.
Le film, d’une énergie assez impressionnante (merci à la superbe bande son, alternant les mélodies les plus délicates et les élans slaves les plus débordants), déploie une force comique contenue toute entière dans ses formidables interprètes russes, l’hallucinant Valeria Barinov en tête (le personnage énorme du producteur-manager approximativement bilingue, obsédé par les meetings communistes et les restos franchouilles). Et tant pis si en comparaison, la partition des acteurs français paraît un peu faiblarde, Berléand et Ramzy Bedia exceptés. Le morceau de bravoure final, le fameux concert, à même de réconcilier le grand public avec la musique classique (plus qu’une envie à la sortie de la salle : se ruer sur le premier concerto venu), est une apothéose : Mihaileanu, tout en déployant une magnifique mise en scène des corps et des accords, le transforme en véritable crescendo dramatique (le suspense autour de la réussite du concert, la communion vibrante des êtres humains, la vérité qui éclate autour de la soliste Anne-Marie Jacquet). Et fait l’ode optimiste de la solidarité et de la communauté allant au-delà des coups durs, cent fois plus sincère et réussie que dans un Micmacs à tire-larigot. Donc, s’il n’y avait qu’une seule raison d’aller voir Le concert, ce sont bien ces vingt dernières minutes assez bouleversantes ; malgré quelques couacs mineurs, le jeu et l’attente en valent largement la chandelle. Rideau."
Frédéric de Vençay