" ... loin des tropiques, tout commence par une dépression sous des cieux parisiens maussades (...) Une scène d'enfermement et de solitude nocturne qui rappelle des choses comme Répulsion de Polanski. Début impressionnant. Non seulement parce qu'on est tout de suite happé dans le film, mais par l'approche physique, charnelle, nerveuse de Laurent Tuel, qui charge l'écran de mystère : qu'est-ce qui se passe ? de quoi souffre Sandrine ? surtout, où ce film nous emmène-t-il ? (...)
Commence alors une histoire d'amour originale et impossible, une relation de couple rarement vue au cinéma. "C'est, en fait, comme l'histoire d'un couple ordinaire, explique Laurent Tuel, d'un amour qui ne réussirait pas, sauf que leurs actes ne sont pas ordinaires." Le cinéaste examine ce qui fait l'osmose particulière d'un couple, ce que deux personnes mettent en commun et ce qui les sépare, sur quels compromis et quelles lignes de force s'équilibre une telle relation...
C'est le fameux "boy meets girl" bien connu de 99 % du cinéma, particulièrement quand il est jeune et français, mais selon une déclinaison carrément inédite. C'est-à-dire que lui aime la fille mais ne goûte le sexe qu'avec les hommes ; quant à elle, elle ne l'aime pas, puis voudrait quand même bien qu'il la satisfasse, puis apprend finalement à l'aimer. Une drôle de relation où désir et frustration circulent selon un trafic très incertain. Pour rendre les choses encore plus inhabituelles et leurs rapports encore plus complexes à définir, il la fait bosser dans un réseau de Minitel rose, la façonne, lui apprend le nouveau métier, se masturbe quand elle est avec un client...
"Le film part d'un fait divers lu dans un journal. Une jeune femme s'introduisait chez les hommes qu'elle rencontrait par Minitel. Pendant qu'elle faisait l'amour avec eux, son complice et amant entrait dans la maison et volait de l'argent..." Elle est d'abord réticente, puis se prend au jeu et finit par comprendre son emprise sur lui.
Le Rocher d'Acapulco est l'histoire d'un rapport de forces qui bascule comme cela se produit parfois entre un metteur en scène et une actrice. Le plus remarquable chez Laurent Tuel est sa maîtrise de la vitesse, de l'ellipse les scènes casse-gueule sont souvent reléguées hors champ ou dans les interstices du montage , sa dextérité dans l'équilibre entre ce qu'il faut retenir et ce qu'il faut lâcher au spectateur qualité finalement essentielle dans un film où le sexe tient une si grande place. Ainsi, Le Rocher d'Acapulco roule-t-il à toute berzingue et lentement à la fois. Ça fonce parce que le rythme est sec, nerveux, dégraissé de toute couenne inutile.
Tuel va au coeur des scènes, et chaque séquence nous projette sans temps mort dans la suivante. Mais, en même temps, il ne se presse pas pour nous dévoiler l'énigme de ses personnages et de leurs relations, préservant la tension et l'attention du spectateur. Jusqu'au bout, il gardera une part de mystère (...) Le Rocher d'Acapulco (...) trace la ligne de partage entre le jour et la nuit, entre un territoire réaliste quotidien et une zone plus incertaine flirtant avec un fantastique discret."
Serge Kaganski