" ... Ce qui est très réussi dans Elles (...)c’est la manière de déployer les troubles d’Anne dans un paysage mental tout aussi orageux. Anne a des problèmes, petits bobos psycho-machins qui font le charme discret de sa bourgeoisie «progressiste» : son jeune fils aîné fume des pétards, son mari regarde des pornos sur Internet. Tu parles d’un drame. Mais le malaise d’Anne est aussi un vertige qui subjugue son inscription sociale.
Tout est dans le fourmillement des détails. Exemple : Anne se débrouille très mal avec les objets. Comme si les objets lui en voulaient. Anne se prend les pieds dans les fils, se cogne un peu partout, se brûle, se coupe. Sans parler de la porte de cette ordure de réfrigérateur qui refuse de se fermer (...)
Cette insistance à filmer la conspiration des objets n’est que la chambre d’écho d’une exaspération ontologique : colère qui couve, rage qui gronde, désir d’envoyer tout péter, non pas tant les objets de la ménagerie ménagère (le récit est indexé sur une journée consacrée à la préparation d’un dîner mondain) que ce qu’ils incarnent : le paradis infernal de la domestication. Bonne mère, pauvre pomme ? Bonne cuisinière, sombre conne ? Sûrement, mais pas seulement. La soumission volontaire est le grand sujet qui hante ce film profondément féministe.
Dit crûment : la bourgeoise et les putes. Ce que la bourgeoise imagine bourgeoisement, ce que les jeunes filles lui apprennent qui va chahuter le confort de ces convictions forcement de gauche : compréhension, compassion, condamnation. Les filles parlent de l’argent facile, de l’envie de succomber aux signes extérieurs de la consommation, de leurs petits amis réguliers, de leurs mensonges, de l’organisation administrative de leurs vies parallèles, mais aussi et souvent de leur plaisir sans que cela soit synonyme rabat-joie de perversion.
A l’oral comme à l’image (scènes de cul rudes et prudes), ce récit est un torrent. Sur l’autre rive, Anne observe, voyeuse comme nous, puis voyante jusqu’à s’avancer dans le courant au risque de s’y noyer. Belle scène «dangereuse», où Anne, en tête à tête dans sa cuisine avec une douzaine de coquilles Saint-Jacques, pourrait devenir folle à (se ?) tuer.
Ces subtilités resteraient abstraites sans les actrices qui les incarnent (...) formidables.
Elles est un film de filles, mais pas du tout de filles entre elles. Elles se soucie des femmes, mais s’inquiète des hommes. Elles aime le genre humain."
Gérard Lefort
Film qui sonne faux:Juliette Binoche joue à la quadra débordée par son fils, son mari et sa cuisine,mais son fils se force à jouer l'ado contestataire,...
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