"Si Ludovic Berthillot est, à peu de choses près, l'antithèse d'Errol Flynn, le personnage d'Armand qu'il interprète est bien un Robin des Bois français contemporain, un personnage qui transgresse les lois pour offrir la fortune aux pauvres. Sachant que chez Alain Guiraudie, la richesse est d'abord synonyme de liberté, le roi de l'évasion est celui par qui la liberté vient aux hommes : liberté de penser, de changer d'orientation sexuelle, dans un sens comme dans l'autre, de se soustraire au diktat de l'ordre moral, qu'il émane de l'esprit de clocher ou d'une idéologie étatique répressive...
Revenu de la mythologie fantasque et syncrétique sur laquelle reposait Du soleil pour les gueux, et qu'il avait réactivée, au point de tourner un peu en rond, dans ses deux derniers longs métrages, Guiraudie retrouve ici son souffle épique en replantant ses deux pieds dans le réel. La force, la beauté du film, reposent sur l'alliance des corps de Ludovic Berthillot et Hafsia Herzi, un quadragénaire adipeux et une jeune fille débordante de sensualité, échappant chacun à leur manière aux canons de la beauté standardisée. Qu'ils soient filmés en faisant l'amour dans l'herbe ou se courant après dans des plans-séquences délirants où le lyrisme ferraille avec l'humour, ils s'accordent avec une grâce lumineuse qui déborde sur les autres personnages, lesquels semblent, eux, tout droit sortis d'un film de Jean-Pierre Mocky.
Qu'importe qu'on soit gros, vieux, ou chauve, le désir n'a pas d'âge et n'obéit qu'à sa propre loi, assène le cinéaste, qui envisage celle-ci comme étant soumise à une puissance hyperinflationniste et achève son film dans une apothéose partouzeuse bon enfant. Pour les besoins de la comédie, pour affirmer, dans un grand éclat de rire, sa haine de la morale et des forces réactionnaires, ou tout simplement pour le plaisir."
Isabelle Regnier