"Un homme nu, debout dans un champ de maïs, en plein soleil, heureux à ce qu'il semble... Too Much Flesh s'ouvre sur cette vision qui rappelle, avec un naturel troublant, que le bonheur est une chose très personnelle, intime même, et dérangeante. C'est un avant-goût insolite de l'histoire qui guette cet homme nu, Lyle (Jean-Marc Barr). L'histoire d'un bonheur qui bouscule tout, et passe par le corps, comme le soleil qui le chauffe.
Le soleil semble avoir même dévoré l'image : tourné en vidéo numérique puis gonflé en 35 millimètres, le film a un aspect brut, assorti à son univers. Un patelin du fin fond de l'Amérique, avec des décors un peu rudes (platitude et maïs à l'infini) et des villageois plutôt rugueux. (...) Jean-Marc Barr et Pascal Arnold saisissent avec une étonnante acuité cette ambiance à la fois ténue et envahissante. Ils prennent le temps de faire entrer dans leur film le paysage, le temps figé de ce coin d'Amérique. Une question d'atmosphère, comme dans les pièces de Tennessee Williams.
Avec la légèreté de ses moyens, et la spontanéité qui en découle, Too Much Flesh impose très vite quelque chose de plus : une ambition presque littéraire, romanesque. Aussi romanesque, en tout cas, que les passions tues, réprimées, qui doivent éclater. Entre Lyle et Amy, le sexe est tabou, impossible. On songe à un rigorisme religieux, à un intégrisme de secte, à une loi qui interdirait ça. L'explication est à la fois plus simple et plus fantasque. Lyle est censé avoir un sexe inapte à l'amour, trop charnu : too much flesh. Un détail assez abracadabrant et trivial pour n'être, en fait, qu'une méchante calomnie.
Plutôt que d'en retracer l'histoire, le film la fait retentir par allusions, éclats dispersés, et garde l'essentiel : l'isolement de Lyle. Cette solitude hante profondément chaque scène du début du film, et y crée une tension grandissante. Quelque chose va vraiment craquer.
(...) La rencontre des corps a une intensité dramatique particulière. Lyle faisant l'amour avec Juliette, c'est un homme qui retrouve son passé à travers une femme, mais qui, aussi, se redécouvre en elle. Cette dimension identitaire, le film la fait passer avec force et subtilité. Les scènes d'amour physique échappent aux conventions : la durée, la tension, l'atmosphère, toutes les qualités du film s'y déploient. Entre ces corps qui se reconnaissent, c'est un mélange d'innocence et d'appétit insatiable : jamais trop de chair. Ce renversement, et ce qu'il provoque, donne à Too Much Flesh la dimension d'une fable morale. (...) Mais Too Much Flesh, après le décevant Lovers des mêmes auteurs, est surtout le manifeste convaincant d'un cinéma vif, incarné, en liberté.
Frédéric Strauss