Il y montre une France d'anticipation où la drogue et la violence dominent la société sous le contrôle de multinationales. Le film est critiqué, en proie à la censure et connait un échec public mais une reconnaissance critique. On discerne en effet dans ce premier essai une vraie virtuosité dans la mise en scène qui installe un climat de peur et de dérision (au final, le film est dédié à Jayne Mansfield !, la star d'Hollywood, "clone" malheureux de Marilyn Monroe). Le film est peut être insatisfaisant dans l'ensemble mais le monde présenté est singulier et angoissant, crédible.
Sa jeune productrice d'alors, Albina du Boisrouvray, qui vient de connaître un très grand succès avec Les Zozos, le premier long-métrage de Pascal Thomas, permet à Corneau de signer un deuxième film. En apparence, c'est un film calibré, rassurant, grand public, avec des stars, dans une histoire policière. Police Python 357, au titre accrocheur, aligne son duo de choc au sommet de l'affiche : Montand/Signoret, couple de légende dans la vie, et pour le cinéma, admiré et aimé du public. En réalité, Simone Signoret n'a qu'un rôle secondaire; on la voit peu à l'écran. Mais sa présence est fascinante, et capitale. Clouée dans un fauteuil roulant (il faut l'entendre dire "Dieu est immobile" !), elle est l'instigatrice de toute la machination criminelle qui se met en place, et, vraie surprise, qui efface la déception première, son personnage, en filigrane, détourne le polar vers l'histoire d'amour passionnelle. Le film y gagne une profondeur insoupçonnée. D'autre part, Police Python 357, que Corneau tourne dans l'esprit sec et violent de L'Inspecteur Harry de Eastwood et Siegel, sorti trois ans plus tôt, est un véritable suspense qui repose sur un enchaînement d'actions, rien que des actions, et dans un déroulement de mécanique imparable. Le procédé est inhabituel. Peu de paroles, des séquences dont la corelation n'est pas évidente immédiatement, des décors très froids et épurés... On sait, depuis, combien Corneau est passionné, aussi, par le cinéma d'Ozu, par le jazz, par la culture indienne ; il réussira même, dix ans plus tard, l'adaptation "impossible" du Nocturne indien de Tabucchi, avec Jean-Hugues Anglade, presque une version orientale, et sans flingue, de Police Python, puisque le héros y part à la recherche... de lui-même.
Police Python 357 a donc tranché nettement avec le cinéma policier français courant des années 70. Celui-ci était dominé par des numéros de stars jouant de leur charme tels Delon et Belmondo (ici, Montand va jusqu'à se défigurer lui même avec du vitriol !), par des dialogues plein de mots d'esprit (ici, c'est le silence ou des "constats" froids, des dialogues en forme de rapports de police), avec des "méchants" volontiers caricaturaux (or, ici, l'ennemi, c'est d'abord soi-même, et le danger vient d'un trop grand sentimentalisme). Police Python 357 est ainsi un film passionnant à plusieurs égards, que l'on peut, en outre, voir sous l'angle de l'utilisation des armes et de leur attrait, symbole de puissance, de sexe et de mort. Car le titre semble aussi indiquer que le vrai et seul héros du film, c'est le Colt. Enfin, comme France Société Anonyme n'avait été quasiment pas vu, l'impact de Police Python 357 fut immense, révélant d'un seul coup le nom de Corneau, et son succès couronna un vrai film de mise en scène.
Corneau est, depuis ce coup d'éclat, "le" cinéaste de référence pour le film noir en France. Aux côtés de Jacques Deray, Jean-Pierre Melville... on peut dire qu'il figure en bonne position. Il réalise, de fait, une série de films qui forment un commentaire très acide sur la société, notamment Série Noire (1978), co-écrit avec Georges Perec, d'après un roman de Jim Thompson, avec un Patrick Dewaere mémorable, où le sordide des situations, empreintes de crime et de frustration, est régulièrement souligné par un fond sonore musical qui utilise tous les grands succès de la chanson populaire de l'époque. Le contraste est saisissant de dérision, et glaçant. Corneau aura aussi retrouvé Montand à deux autres reprises, La Menace (1977) et Le Choix des armes (1981) où celui-ci joue en patriarche, dans une distribution qui ménage des stars à tous les étages, depuis les icônes (Deneuve), en passant par la nouvelle valeur sûre (Depardieu) jusqu'à la jeune garde (Lanvin, Anconina) bordée par le second rôle de choc (Galabru).
Corneau creuse ce sillon ensuite avec plus ou moins de bonheur. Réussissant à transformer les comiques Timsit et Chabat en excellent duo de thriller dans Le Cousin (1997), mais échouant avec Le Môme (1986) à faire d'Anconina un personnage qui dépasse la caricature. Quant à son remake du chef-d'oeuvre de Melville, Le Deuxième souffle, qui se veut, avant tout, fidèle au roman d'origine, écrit par José Giovanni, il laisse sceptique. Avec un casting peu inspiré (Dutronc, Auteuil, Blanc, Bellucci, Cantona... tous ont l'air de jouer avant tout avec leur propre image d'acteur) et une stylisation extrême du décor et de l'image (tendance Wong Kar wai et John Woo, les nouveaux maîtres du cinéma asiatique), le résultat a tellement sidéré qu'il sera certainement instructif, le temps passant, de reconsidérer cet étonnant essai. Ratage absolu ou audacieuse transposition ? Rendez-vous dans, au moins, quinze ans.
Mais Corneau est surtout un auteur dont la curiosité se manifeste au fil d'oeuvres qui ressemblent à des paris. Souvent très gonflés. Qui aurait cru qu'un film autour de la musique baroque pouvait fédérer un très large public ? Mais, lui valant pour l'occasion un César du meilleur réalisteur, Tous les matins du monde a réussi à imposer son ton austère, comme Police python 357 l'avait fait en son temps. Nocturne indien est un voyage presqu'immobile en Inde. De même, Fort saganne, super-production à l'interêt inégal, est l'histoire d'un "enlisement", a priori peu spectaculaire, et peu conforme à l'attente du film exotique par le public alléché par l'affiche Depardieu/Deneuve/Noiret/Marceau, sur fond de désert à la Lawrence d'Arabie.
Corneau s'est donc peu à peu dégagé de l'étiquette de surdoué du thriller, quitte à manquer son coup. Son film très personnel sur son adolescence et sa passion du jazz, Le Nouveau monde, est peu convaincant. Tout comme est ratée sa comédie d'aventures Le Prince du Pacifique. Mais l'on retrouve un goût du risque "transformé" lorsqu'il fait équipe avec Sylvie Testud pour Stupeur et Tremblements (adaptation du roman d'Amélie Nothomb, qui lui permet d'approcher un pays qu'il aime depuis longtemps, le Japon) et Les Mots bleus (d'après le récit de Dominique Mainard), difficile sujet autour d'un enfant autiste, tourné en vidéo, en compagnie de Sergi Lopez.
Il disparait des suites d'un cancer le 30 août 2010 alors que son ultime réalisation est encore sur les écrans : Crime d'amour avec Kristin Scott-Thomas et Ludivine Sagnier.