Alexandra Stewart : "Y'a-t-il un moment juste pour raconter ça ?"
Alexandra Stewart évoque Joseph Morder, l'auteur de La Duchesse de Varsovie, juif des tropiques longtemps hanté pa1
Navigateur non compatible. Veuillez utiliser un navigateur récent
Valentin, jeune peintre en manque d’inspiration, retrouve sa grand-mère Nina, une émigrée juive polonaise, et lui exprime le besoin de connaître son passé.
Valentin est un jeune peintre qui vit dans le monde imaginaire de ses tableaux. Lorsqu’il retrouve sa grand-mère Nina, une émigrée juive polonaise dont il se sent proche, il lui confie son manque d’inspiration et sa solitude. Au fil de ces quelques jours passés ensemble dans un Paris rêvé, Valentin exprime de plus en plus le besoin de connaître le passé que Nina a toujours cherché à dissimuler... Un film soutenu par l'ACID lors de sa sortie en salle.
Le lecteur n'est pas installé ?
Pour votre information, la lecture en mode hors-ligne n'est pas compatible avec le système d'exploitation Linux
" Joseph Morder met à nu les ressorts héréditaires de l’indicible. Sur fond de décors peints. «On se croirait dans un film, c’est magnif
" Joseph Morder met à nu les ressorts héréditaires de l’indicible. Sur fond de décors peints.
«On se croirait dans un film, c’est magnifique.» Au regard du dispositif de La Duchesse de Varsovie et de ce que contemple alors le personnage éponyme qui la prononce, la réplique est pleine de malice : une vue de Notre-Dame de Paris, de la Seine et de ses ponts, réduite à un paysage aux reliefs de gouache, brossés à vives touches impressionnistes. Dans cette nouvelle tentative d’inoculer ses préoccupations de toujours à un territoire de fiction, le cinéaste aux mille films revendiqués, connu surtout pour ses documentaires et autres journaux filmés, Joseph Morder, fixe les déambulations de deux corps funambules, en fragile équilibre sur le fil d’un dispositif qui peut lointainement évoquer celui de L’Anglaise et le Duc d’Eric Rohmer.
Soient deux acteurs en tout et pour tout pour habiter le plan, qui vont et viennent devant l’écran de toiles peintes, où se mêlent décors et personnages subalternes, dotés seulement d’une voix, figures impassibles et bidimensionnelles auxquelles les protagonistes ne se privent pourtant pas d’adresser la parole, une étreinte ou même un sévère roulage de pelles.
Il est ici question d’une grand-mère en visite et de son petit-fils, de terribles secrets de famille et d’élans contrariés, de mémoire et de désir qui se refusent à s’exprimer. Le jeune homme se présente comme peintre, même s’il peine à exercer son art. Ces décors d’un Paris aplani parcouru par son aïeule et lui, à l’éclat pastel de fantasme pittoresque suranné - lorsqu’ils ne dépeignent pas les espaces clos d’une antichambre de backroom ou un atelier de ruminations d’artiste - sont peut-être la traduction des émois de son pinceau, mais aussi la projection d’une solitude et d’une perception du monde comme filtrée, dont l’évidence suggère qu’elle fut reçue en héritage. Chacun des deux personnages porte une part de soi qu’il tient ainsi contenue par ses inhibitions, dans une consécution de refoulements qui entend dire tout ce qui peut se transmettre, de génération à génération, d’obstruction à soi-même et de pulsion d’indicibilité.
S’il sera finalement question, comme souvent chez Morder, de l’Holocauste et d’identité meurtrie, le récit s’épanche dans un climat presque enjoué, avec une pétillance de comédie musicale vintage à rebours de la pesanteur de ses enjeux. Cela, le film le doit autant aux fréquentes trouvailles de sa mise en scène, à laquelle le tournage en studio accorde pleine possession de ses possibles d’enchantement, qu’à la finesse de son couple d’acteurs, qui louvoie avec grâce entre le posé et le dissonant. Face à l’aménité sévère d’Alexandra Stewart, dans un rôle écrit, paraît-il, pour Jeanne Moreau, Andy Gillet imprime cette étrange et fragile distinction à fossette révélée par Rohmer dans Les Amours d’Astrée et de Céladon, qui lui prête l’air de pouvoir tout jouer traversé par un même principe d’immaculée douceur. "
" Dans la filmographie hors norme de Joseph Morder, aussi protéiforme qu’abondante, le journal filmé tenu depuis 1967 constitue un axe centr
" Dans la filmographie hors norme de Joseph Morder, aussi protéiforme qu’abondante, le journal filmé tenu depuis 1967 constitue un axe central, un tronc qui se ramifie aussi bien en courts qu’en longs métrages pour le cinéma (El Cantor) ou la télévision (Romamor), en documentaires qu’en autofictions (Mémoires d’un juif tropical ; J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un).
Qualifié par le cinéaste lui-même de film hollywoodien, tant pour ses choix esthétiques qu’en raison d’un confort de production inaccoutumé, La duchesse de Varsovie s’inscrit bien dans le prolongement de cette œuvre très cohérente où l’histoire personnelle et familiale, fut elle douloureuse, est revisitée, réinventée, sous le signe d’un romanesque de pacotille revendiquée et se pare volontiers des atours de la frivolité.
C’est donc en ouvrant la boite du marchand de couleurs, en s’inscrivant dans l’héritage de Minelli (Gigi) ou de Demy que Morder aborde ici le thème de la déportation et de la Shoah qui étaient déjà au coeur du documentaires Mes sept mères (1999).
Pour lui, comme pour Lanzman, l’évocation de l’irreprésentable ne peut passer que par le récit du rescapé qui prend ici la forme de la lecture d’un témoignage écrit puis oublié mais dont l’exhumation, si douloureuse fût-elle, est nécéssaire pour permettre à Valentin, le petit fils coupé d’une histoire familialle qu’on lui a obstinément cachée, de se libérer de la paralysante mélancolie qu’il étourdit dans des soirées en boite (le désir !), de l’indécision velléitaire de celui qui ne sait trop d’où il vient ni qui il est.
Filmant en gros plan sur fond noir le visage de celle qui raconte et qui écoute (lorsque c’est lui qui prend la relève pour lire ce qu’elle a écrit), Morder donne à ce récit cathartique une puissance émotionnelle d’autant plus grande qu’il n’en force pas la dramatisation mais le laisse respirer, introduisant des pauses (lorsqu’elle s’interrompt, qu’on la voit se lever dans son regard à lui, qu’ils fument une cigarette - puis : Allez, on y retourne !)Car il n’y a pas de hiatus véritable entre la gravité de ce passage et la légèreté affirmée de ce qui précède : des tonalités plus sombres, nocturnes, inquiétantes, s’infiltraient très vite, au gré des humeurs changeantes des personnages, dans l’univers bariolé (évoquant notamment Pissaro, Monet, Vuillard ou Dufy) de ce Paris enchanté-désenchanté (et qui a cessé d’être le centre du monde) créée par la décoratrice Chloé Cambournac et la peintre Juliette Schwarz et merveilleusement animé par les éclairages changeant, météorologiques, de la photo de Benjamin Chartier.
Car la palette de Morder est très variée et passe d’un ton de comédie pétillante, à base de joutes verbales (Ce que tu peux me contrarier !), à l’onirisme sombre (la rencontre, dans une Gare de l’Est sinistre, avec le fantôme de Gaston, le mari parti trop tôt qui rappelle à Nina que la vérité est horrible mais simple) ou joyeux (la grand mère en robe rouge vif volant dans le ciel de Paris), de l’élégance du plus parfait classissime à l’expérimentation sans filet ou à l’obscénité des très gros plans (les yeux, la bouche) lorsque les deux personnages assistent à la projection d’un pastiche de film muet impossible (un mélodrame hollywoodien ouvertement lesbien !, seul passage où interviennent d’autres actrices réelles, Françoise Michaud et Rosette).
Car le retournement incessant est ici un principe de vie, ou plutôt de survie : l’impasse sordide que Valentin fait visiter à Nina (C’est l’enfer, dit-elle) s’ouvre sur le paradis d’un jardin intérieur abritant le souvenir d’un grand amour de jeunesse ; l’impudeur extrême (du gros plan, de l’aveu intime, de la musique parfois excessivement sentimentale, et néanmoins superbe, composée par Jacques Davidovici) devient une forme suprême de pudeur ; l’artifice affiché du carton-pâte devient soudain plus vrai que vrai et les personnages dessinés se mettent inopinément à prendre vie.
Au delà de la formidable et jubilatoire prise de risque esthétique, le bonheur dispensé par le film de Morder repose aussi sur deux magnifiques acteurs : Alexandra Stewart dont l’élégance qu’on a pu trouver ailleurs un peu froide devient ici l’expression bouleversante d’une légèreté conquise de haute lutte, en dépit de tout, et Andy Gillet qui réussit à faire de sa trop parfaite beauté l’aveu d’une faiblesse, d’une fragilité. C’est aussi grâce à eux que cette Duchesse, prodige d’audace tranquille et de simplicité sophistiquée, se hisse comme sans efforts à la hauteur de ses modèles revendiqués (Ophuls, Demy, Minelli) et atteint une grâce par définition fragile mais d’autant plus renversante. "
" Tchekhov reprochait parfois à ses comédiens de redoubler par leur jeu la dépression de ses personnages. Il leur expliquait que les mélanc
" Tchekhov reprochait parfois à ses comédiens de redoubler par leur jeu la dépression de ses personnages. Il leur expliquait que les mélancoliques sont le plus souvent des gens joyeux dans leur vie quotidienne et que leur désespoir ne s’exprime que par instants. On pourrait ajouter que le mélodrame cinématographique n’a jamais été aussi réussi et pertinent que lorsqu’il est flamboyant (Minnelli, Sirk, Almodóvar). Les couleurs vives se marient bien avec le malheur. Parce qu’il est pudique et qu’elles le mettent en valeur.
C’est manifestement le choix très heureux qu’a fait le malicieux et cinéphile Joseph Morder en choisissant de placer ses deux personnages dans des décors dessinés (soixante toiles peintes, photographiées, agrandies puis imprimées sur tissu) par l’artiste Juliette Schwartz – dans un genre de dispositif qui rappelle un peu celui du dernier film de Resnais, Aimer, boire et chanter. Ce décor semble refléter le paysage mental du personnage principal masculin.
(...)
Le parti pris esthétique de Morder est une réussite. Il parvient, à partir de la noirceur, à fabriquer du romanesque, qui aide à vivre ou survivre à la douleur, à l’insupportable et à l’inoubliable, et surtout du lien entre deux êtres qui s’aiment mais ne s’étaient jamais parlé avec sérieux. Il y a de la grâce dans la simplicité et la théâtralité bienheureuse de ce film frontal, qui parvient à nous attacher à deux êtres sensibles dans un décor d’opérette, et sans doute plus encore peut-être grâce à lui. Interprété de façon merveilleuse par deux acteurs formidables, au jeu intemporel, humble et déchirant, La Duchesse de Varsovie et ses jolis dialogues sont un petit bijou de cinéma. "
"On retrouve le goût de Joseph Morder pour le romanesque hollywoodien, son talent de conteur de sagas traversant frontières et générations,
"On retrouve le goût de Joseph Morder pour le romanesque hollywoodien, son talent de conteur de sagas traversant frontières et générations, son sens de l'image entre kitch baroque et classicisme."
Retrouvez le texte complet sur le site de l'ACID.
L'ACID est une association née en 1992 de la volonté de cinéastes de s'emparer des enjeux liés à la diffusion des films, à leurs inégalités d'exposition et d'accès aux programmateurs et spectateurs. Ils ont très tôt affirmé leur souhait d'aller échanger avec les publics et revendiqué l'inscription du cinéma indépendant dans l'action culturelle de proximité.
Nos offres d'abonnement
BASIQUE ETUDIANTS
1 | € |
le 1er mois(1) |
SANS ENGAGEMENT puis 4,99€ /mois
Sur présentation d'un justificatif(2)
BASIQUE
1 | € |
le 1er mois(1) |
SANS ENGAGEMENT puis 6,99€ /mois
PREMIUM
9 | ,99€ |
/mois |
SANS ENGAGEMENT
* A l'exception des films signalés
CINÉPHILE
15 | ,99€ |
/mois |
SANS ENGAGEMENT
*A l'exception des films signalés
BASIQUE ETUDIANTS
49 | ,99€ |
/an |
Sur présentation d'un justificatif(2)
BASIQUE
69 | ,99€ |
pour 1 an |
PREMIUM
99 | ,99€ |
pour 1 an |
* A l'exception des films signalés
CINÉPHILE
175 | ,99€ |
pour 1 an |
* A l'exception des films signalés
Vous devrez fournir un justificatif de scolarité (carte étudiante ou certificat, en .pdf ou .jpg).
UniversCiné se réserve le droit d'annuler l'abonnement sans possibilité de remboursement si la pièce
jointe envoyée n'est pas conforme.
Offre valable 12 mois à partir de la date de l'abonnement
_TITLE