Camille ne « veut » ressembler à personne. Surtout pas à ses amis trentenaires comme elle, ni à son frère, déjà tous engagés dans des vies pépères. Entendez : avec un seul partenaire sexuel ou, pire, avec une alliance à l'annulaire et un bébé en route.
Au début, Camille parade dans les dîners de couples, éclabousse tout le monde de son indépendance, de son éternelle fringale d'aventures. Elle court à des rendez-vous sans prénom ni visage, chavire d'inconfort dans des ascenseurs où on lui fait l'amour à la hussarde, se réveille, hébétée, dans des draps inconnus. Parfois, aussi, elle passe à la pharmacie pour faire provision d'antidépresseurs. Pas le temps de se demander s'il faut rire quand cette jeune femme dessalée et forte en gueule pleurniche toute seule sur un trottoir : l'évidence comique de ses déboires saute au yeux, comme, juste avant, celle de ses persiflages et de ses performances érotiques.
Mais, attention, ce comique vient dune contrée inattendue sur la carte du cinéma français. Catherine Corsini, la réalisatrice, sest jusquici illustrée dans des oeuvres « sérieuses » ( Poker, Les Amoureux, et à la télé Interdit damour, entre autres). Elle a prouvé quelle sait représenter à lécran la solitude, la souffrance, le désir. Loin dêtre passée à la trappe, sa sensibilité donne de l'épaisseur à la drôlerie de ce nouveau film où ce qui fait rire est précisément ce qui fait mal. Et où la légèreté s'accorde avec un point de vue affûté sur le monde.
Pour Camille, ce monde prend soudain le visage d'un homme et d'un seul, qu'il lui faut conquérir coûte que coûte (...) L'un des raffinements comiques de La Nouvelle Eve est de prendre acte de la frénésie psy contemporaine, chacun dissertant sur ses symptômes et ceux d'autrui en pure perte. Tour à tour lucide et délibérément aveugle, Camille ira de toute façon au bout de son désir, de sa folie si lon veut, quitte à en apprendre encore de belles, au passage, sur elle-même et, à l'arrivée, sur la nature de ses sentiments. C'est léternelle aventure du couple qui se rejoue alors à lécran, avec ses volte-face, ses furieuses empoignades, son « ni avec toi ni sans toi ». La version de Catherine Corsini se distingue toutefois par son burlesque éclatant et sa fluidité impeccable. Pas un temps mort, une collection réjouissante de ces ressorts comiques universels chers à Bergson (trébuchements et dégringolades à foison), un élan ludique, teigneux et masochiste qui balaie tout sur son passage et doit beaucoup à l'enthousiasmant culot de Karin Viard.
Ce nest pas tout. En multipliant, autour du couple impossible, les personnages secondaires, à forte personnalité mais dégraissés de tout stéréotype (Catherine Frot, l'épouse loyale d'Alexis ; Sergí Lopez, le soupirant érotomane de Camille ; Mireille Roussel, son amie lesbienne et épanouie), Catherine Corsini redistribue tranquillement les cartes sentimentales, morales et sexuelles dans la société contemporaine. Quitte à pointer aussi les impasses de cette nouvelle donne (...) La Nouvelle Eve est-il un film aussi désinvolte, aussi imprévisible et décomplexé que son héroïne ? Oui, et, comme elle, tout cela le rend bien souvent irrésistible.
Louis Guichard