Le chômage humilie, déprime, anéantit, rend fou. Fabrique-t-il des assassins ? Tout le monde sait que la réponse est oui, même si les crimes perpétrés par nos chers compagnons d'entreprise se révèlent symboliques, virtuels. Les victimes meurent loin du lieu fatal, à genoux devant l'ANPE, sous sédatifs en cliniques pour déprimés, achevées par l'alcool, voire asphyxiés dans un placard. Adaptant un roman de l'Américain Donald Westlake (...), Costa-Gavras fait fi des métaphores. Son "héros" passe à l'acte.
Conte amoral, Le Couperet retrace le plan de survie d'un cadre supérieur congédié pour cause de délocalisation de son entreprise après quinze ans de bons et loyaux services (...) Constat effaré de Costa-Gavras et de son scénariste Jean-Claude Grimberg : aujourd'hui, on se bat moins pour faire triompher des idéaux que pour sauver sa peau, et, symptôme d'un individualisme poussé jusqu'au paroxysme, ce combat insensé pousse les citoyens à supprimer des frères, des semblables, comme aux temps préhistoriques. Il n'y a plus de morale, plus de solidarité. C'est le règne de l'inhumanité au quotidien, l'avènement d'une nouvelle barbarie. Sursaut de lucidité du licencié : "Nous devrions nous battre ensemble au lieu de lutter seuls pour des miettes !"
Costa-Gavras a dû batailler ferme pour mener son film à bien. On sait qu'il est vain d'espérer tourner sans l'appui financier des télés, et celles-ci ne mettent pas volontiers la main au portefeuille pour voir régler le problème du chômage par un serial killer. Les auteurs ont donc eu partiellement recours à un type de narration calqué sur le thriller. Paradoxalement, les moments d'attente du tueur guettant ses victimes dans sa voiture ne sont pas les plus poignants. Costa-Gavras est plus convaincant lorsqu'il esquisse un portrait à la Fritz Lang de son justicier fou : mains moites, tremblant, vomissant, pleurant, métamorphosé en bête gémissante.
Outre le talent de José Garcia à camper ce personnage sans le rendre antipathique, on retrouve dans Le Couperet l'attachement de Costa-Gavras pour les histoires de famille. Ici, l'assassin est motivé par sa responsabilité financière et morale de mari et de père. Ses absences (physiques et mentales) déglinguent son ménage, il est traîné chez un conseiller conjugal, mais l'horreur suprême serait pour lui de perdre son statut de "papa héros".
Découvrir que son fils s'est compromis dans des vols attise en lui à la fois la hantise de voir les siens entraînés dans un engrenage et l'urgence d'une solidarité de clan. Le vrai sujet du film, c'est ce dilemme qui pousse un homme à agir comme un monstre pour s'éviter la culpabilité de voir la déchéance des siens dans la jungle sociale.
Jean-Luc Douin, 1/3/2005
