" L'invention comique jaillit à chaque instant. Le gag pullule. Les idées drôles, les notations savoureuses, les images cocasses, se pressent, se bousculent à l'intérieur de chaque scène. Tant qu'on a la santé est un film, d'une extraordinaire densité humoristique (...)
Sur le thème des mille et une stupidités et importurnités du monde moderne, Pierre Etaix nous propose mille et une variations. Qu'il s'en prenne à l'horrible vacarme qui constitue le fond sonore de nos existences, qu'il se moque de la mécanisation de nos habitudes intellectuelles et physiques sous l'effet des slogans publicitaires, qu'il stigmatise cette folie grégaire à laquelle nous ne pouvons «échapper, même aux heures de vacances, sa verve (et celle de son complice Jean-Claude Carrière) semble inépuisable.
Il lui suffit parfois d'une seule image pour souligner un ridicule [(un monsieur et une dame amateurs de camping couchent à l'étroit sous une tente minuscule, tandis que leur sacro-sainte automobile a droit à un luxueux hangar detoile). D'autres fois, au contraire, il accumule les détails, multiplie les arguments cocasses et s'amuse à tirer toutes les conséquences possibles d'un événement banal (la mise en marche d'un marteau-piqueur) ou d'une situation donnée (un consommateur absorbe dans un restaurant les remèdes destinés à son voisin). Souvent enfin il ajoute à la drôlerie une pointe de poésie (le canard qui se retourne sur la chaussure vaguant au fil de l'eau).
Mais je crois (...) qu'il a eu tort de se borner à faire de son film une mosaïque de gags et d'observations malicieuses, sans fil conducteur et surtout sans personnage central. Il manque un "héros" à ce récit, je veux dire une victime facile à identifier et qui porterait sur ses épaules le poids des catastrophes répertoriées par le réalisateur. Certes, Pierre Etaix est presque continuellement présent sur l'écran. Mais il s'agit d'une présence anonyme, délibérément privée de personnalité. C'est monsieur-tout-le-monde que l'auteur-comédien a voulu incarner, vous, moi, le voisin du dessus ou l'inconnu croisé dans le métro. Silhouette tellement discrète que d'une scène à l'autre on n'est même pas certain de suivre le même individu (...)
Pierre Etaix est un merveilleux observateur (...) Chaplin, Keaton, W.C. Fields. les Marx, étaient des gens à qui il arrivait non seulement des histoires, mais une histoire. On aimerait bien qu'il arrive une histoire, à Pierre Etaix dans son prochain film. Avec Tant qu'on a la santé il a atteint (et même dépassé) la limite extrême de l'impressionnisme..."
Jean de Baroncelli, 25/02/1966
