Constellation Ozu : les cinéastes du vide
En 1978, plus de dix après leur réalisation, sortent en France Voyage à Tokyo, puis Le Goût du saké. Le choc1
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Madame Granger, s'inquiète de l'avenir de sa fille Nathalie, qu'on dit violente. La radio relate les crimes de deux tueurs. Un représentant frappe à la porte.
Madame Granger s'inquiète de l'avenir de sa fille Nathalie, qu'on dit violente. Suivra-elle les cours de musique ? Partira-elle en pension ? Dans la maison silencieuse, la radio relate les agissements de deux tueurs. C'est alors qu'un représentant fait irruption dans la maison.
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" On pourrait résumer Nathalie Granger de mille façons. C'est une sorte de. cinéma aléatoire qui exige du spectateur un certain talent. Tand
" On pourrait résumer Nathalie Granger de mille façons. C'est une sorte de. cinéma aléatoire qui exige du spectateur un certain talent. Tandis que — nous l’apprenons par un transistor — la police pourchasse deux Jeunes gens coupables d'avoir assassiné gratuitement plusieurs personnes, deux femmes devisent dans une maison isolée de banlieue. Elles sont toutes deux mères de famille mais la fille de l’une d’entre elles s'est manifestée par des actes de violence gratuite qui épouvante son institutrice. Il vient d’être décidé de la placer en pension, ta mère est désespérée : à son avis, une chose peut la sauver, la musique, cette musique que l'enfant ne semble guère apprécier. Le hasard veut qu’un minable représentant de machines à laver vienne leur faire l'article. C’est un raté, un homme qui, toute sa vie, a étouffé ses impulsions naturelles afin de se conformer au jeu de la société. Cette rencontre est sans doute ce qui décide la mère de famille à laisser sa fille à sa violence : elle n’ira pas en pension.
Ce résumé, je le répète, est le mien. Il est fort possible qu’il ne corresponde à la vision d’aucun autre spectateur, peut-être même pas à celle de l’auteur lui-même. La mise en scène pour l’auteur, c’est d’abord retracer l’itinéraire de ces blocs de solitude qui errent, béants, parmi les murs froids ou sous les arbres, remâchant dans leur marche incessante, l’absurdité de leur existence confinée, cette contradiction ontologique entre leur énergie vitale, leur disponibilité et la vanité de toute action. Et l'heure vient où la marmite explose : c’est cette heure qui requiert toute l’attention de Mme Duras. D’où sa tendance à privilégier parmi les sujets possibles les crimes (L'Amante anglaise) ou la folie (Le Vice-consul, son plus beau livre peut-être et Détruire dit-elle). Dans le choix qui se propose à l’homme, ou s'enrégimenter dans le flot du troupeau en aliénant tout ce qui peut constituer une personnalité originale ou exploser, s'épanouir, établir en actes l’absurdité de l’existence, Marguerite Duras laisse le soin au spectateur de choisir.
Son écriture est lente, l'image semble à peine glisser sur l'écran, sans à-coups: fe poids du temps y est tel qu’on attend sans cesse l'explosion, une explosion qui ne vient jamais parce qu'en définitive tout, bientôt, se pétrifierait à nouveau. Et cette écriture lui est bien personnelle : cette vision de Jeanne Moreau et de Lucia Bose retrouvée (et toujours aussi belle) marchant sous les arbres, ces gestes ralentis comme si tous les personnages étaient sous tranquillisants, ce suspense, d’autant plus angoissant qu’il est intérieur tout cela n’appartient qu’à Marguerite Duras. Mais il semble qu'il faille plutôt considérer ce film comme un tome inédit de son œuvre complète que comme un nouveau chapitre de l'histoire du cinéma."
" Un film immobile comme une journée bourgeoise, mais grouillant, au fond, de violence politique. Nue, tue, jamais vue, ou presque. Le quat
" Un film immobile comme une journée bourgeoise, mais grouillant, au fond, de violence politique. Nue, tue, jamais vue, ou presque.
Le quatrième film de Marguerite Duras résume, en son absolu statisme, toute la recherche de l’auteur depuis Le Ravissement de Loi V. Stein, en 1964. Avant ce roman charnière, Marguerite Duras écrivait, écrivait, alignait des mots pour prouver sa connaissance des êtres et pour les faire évoluer. Changer.
Aujourd’hui, la connaissance, la psychologie lui font horreur. Détruire, dit-elle. Détruire la mémoire, la culture, la clarté : « La clarté est une maladie des Français. Ils y croient. Elle est partout. » Ses films, ses derniers livre s'emploient à redéfinir une autre clarté, à partir de zéro. Le rien intégral. Leur table des matières est une table rase où se mêlent plusieurs techniques narratives.
« Détruire, dit-elle », le livre, se présentait comme un scénario, mais le film « Détruire, dit-elle niait le cinéma pour faire entendre une voix neuve, blanche, inclassable. Duras, souvent, change ses livres en films, ses scénarios en pièces de théâtre, et vice versa. Elle revient sur l’un, reprend le thème d'une autre, développe un troisième. Ainsi, « Abahn Sabana David » est devenu Jaune le soleil au cinéma, « la Musica », elle, est restée Musica sur l'écran, tandis que « le Vice-Consul » s’est mué d’une part en Femme du Gange (...) d’autre part en India Song, courte pièce.
Il y a une raison à cela : les histoires classiques, les anecdotes n’intéressent plus Duras. Ne la concernent plus. A quoi bon dès lors inventer de nouveaux thèmes si l'on dispose d’un fonds romanesque bien fourni ? Pour ce Nathalie Granger (...) il fallait une action, afin que le film soit considéré par le Centre national du Cinéma. Alors, Duras a écrit. Un argument très bref : « Je dois dire que je suis assez douée pour cela. Ecrire des prétextes, comme ça. C'est un peu vulgaire, mais tant pis. »
Scénario ? Film ? On va pouvoir comparer, s’étonner des différences, peut-être préférer l'un à l’autre, quoique pour Duras, aimer une « oeuvre » quelconque n’ait plus aucune signification. « Ça fige », explique-t-elle. Adorer, détester, elle s’en moque. A la limite, on pourrait jeter un de ses livres, brûler un de ses films. Ce serait le début d'un travail que chacune de ses œuvres exige, de plus en plus fortement. Au fur et à mesure que son écriture se décante, Duras rejette tout ce qui peut la rattacher à une logique, à un sens privilégié. La Musica (le film) était encore trop entaché de littérature, Détruire, dit-elle mettait en jeu la psychanalyse, « Jaune le soleil », une certaine hystérie politique. Avec Nathalie Granger, avec « l'Amour », on ne sait pas. On ne sait rien.
On assiste seulement à un jeu de regards et de gestes simples, dépouillés, évidents. La façon de montrer une femme dans une passivité qui lui sert d’arme, la manière dont un personnage entre, tel un mutant, dans une pièce grise apparaissent brusquement nouveaux.
« Voir, cela s'apprend », disait naguère Marguerite Duras. Avec elle, on est à l’école du regard théorique et politique. Ce qu'on ressent à la lecture ou à la vision, en fait, c’est de la peur. Une peur panique de ne pas comprendre. Où est-on ? Où sont les points de repère ? Depuis longtemps, Duras a renoncé à la moindre complicité avec le lecteur ou le spectateur. Pour elle, films et romans capitalistes sont le plus grand sottisier des temps modernes. Ils abrutissent, ils endorment, ils droguent. Elle ne supporte plus.
Duras n'a pas attendu Mai 68 pour s'éveiller. Elle a cherché, lutté ; à présent elle observe. Tout ce qu’elle a récemment produit s’articule autour d’un thème unique : la somnolence, la mise en veilleuse, le guet. Ses personnages, d'une certaine manière, sont des hippies en costume de ville. Leur principale aversion se retrouve de film en livre : faire.
« Faire un travail », créer, produire. Inertes, ils ont la force. De dire non. Evitant de s'enfermer dans le confort, ils parlent peu, juste un ou deux mots coupants, une phrase courte, atonale.
Ils sont irrécupérables, ils sont libres. Les femmes de Nathalie Granger ont presque tout oublié (sauf leur sens de l'humour, très sûr), les juifs allemands d' « Abahn Sabana David » aussi. Dans le système, ils forment un grand creux. Une question, en silence.
Ce que vise avant tout Marguerite Duras, c’est proposer un nouveau type de communication entre les êtres. Après, la révolution viendra. Dans un espace redessiné. Par la lutte des classes, peut-être, dont Duras ne parle pas.« II faudrait, pourtant, en parler. La situation actuelle au Chili nous oblige à nous demander s'il ne faut pas quand même en passer par la violence. L'assumer. Tout casser. » Comme le font ses personnages : à la fin de Détruire, dit-elle on brise un piano, une musique de Bach ; avant, dans L’ Amante anglaise, on , perdait une certaine forme de conscience. | Dans Nathalie Granger, l'intrusion d’un représentant en machines à laver qui vient investir la place se fait dans la quiétude apparente. Violence négative, pourrait-on dire.
C'est vrai que la violence, chez Duras, c'est un regard, une esquisse de geste, un chat dont la gueule soudain s'ouvre. Ce n'est pas le sang. « Un film pacifiste, par exemple, dit Marguerite Duras, c’est un film belliciste. Il séduit en montrant l'horreur. » Elle, ne séduit pas. Jamais.
Parce qu'elle nous refuse le moindre charme, parce que ses livres sont abrupts et ses films laconiques, on ironise, on la condamne. Réflexe connu. On lui dit qu'elle n'aime pas le cinéma, qu’il faut cependant qu’elle reste comme ça. En marge.
« Ce que je hais, surtout, c'est l'habileté. » Elle en avait, elle s'ingénie à la cacher. Sous un pessimisme qui va s’accentuant (...) Le représentant visite le salon, le couloir, la chambre. La caméra aussi, derrière lui. La musique, due à Duras (et totalement inepte, selon son auteur), lancine. L’homme, enfin, sort du champ. L'écran devient noir. La lumière se rallume. On n’a rien appris. On croit n'avoir rien appris. En tout cas, maintenant, il est temps pour nous de faire Nathalie Granger.
On est devenu le voyageur de commerce et on se demande pourquoi on est entré dans la maison, pourquoi on a dérangé, insisté, violé la liberté des gens. Alors on a honte. De n'avoir pas saisi plus tôt que tout dans le film était démenti. Le réalisme, l’existence, le cinéma. Nous."
" On peut voir enfin Nathalie Granger, il faut s'y précipiter. Le sang neuf du cinéma est là dans ces images lentes où s'installe une tensi
" On peut voir enfin Nathalie Granger, il faut s'y précipiter. Le sang neuf du cinéma est là dans ces images lentes où s'installe une tension indicible qu'atténue par instants les blancs et noirs et toute la gamme des gris des images de Ghislain Cloquet (...) Ce film sobre et grave inquiète et passionne. Il faut vraiment s'entêter à n'utiliser ses facultés qu'au ralenti et au minimum pour le trouver hermétique.
Nathalie Granger entre autres choses est un hommage à la clairvoyance de l'esprit et à l'intelligence du coeur. Et s'il dérange c'est parce qu'il s'applique à détruire quelques mécanismes ancrés dans nos habitudes mentales.
Dans le calme apparent d'une demeure légèrement en retrait de l'agitation et du tumulte, les forces conjuguées et solidaires de la bêtise et de la méchancëté venues du dehors s'installent ici jusqu'à l'extrême point de saturation comme dans une chambre d'écho. Les faits et gestes de la banalité quotidienne acquièrent alors une nécessité et une présence inattendues dans des plans séquence d'une oppressante densité. Les assauts répétés de la brutalité extérieure, qu'ils interviennent par le souvenir ou par la voix anonyme du transistor, stigmatisent les visages inoubliables de Jeanne Moreau et de Lucia Bosé marqués par la souffrance, visages qui suscitent questions et-choix de réponses.
Tout en restant perceptible au niveau de la chronologie et de l'anecdote — encore qu'il faille utiliser le terme avec précaution — Nathalie Granger s'organise autour de plusieurs plans de lisibilité.
C'est l'histoire de trois générations, c'est la volonté éperdue, nécessaire, de détruire la dualité occidentale dans l'ordre de la pensée : la violence ne s'oppose pas à la douceur, le jour n'est rien sans la nuit, Jeanne la blonde c'est aussi Lucia la brune, l'une commence un geste, l'autre le termine ou inversement. Et la musique reprise inlassablement comme étant peut-être le langage essentiel, ne peut pas annuler la tension puisqu'elle participe à toutes les violences du film. Si elle atténue la rébellion initiale de Nathalie, est-ce à dire que l'enfant est récurée par cette fugue, par l'émotion considérée à travers l'art comme une valeur de la bourgeoisie et contre laquelle il faudrait aussi oser s'insurger ?
La réponse reste énigmatique pour nous comme pour l'auteur, et prolonge son inachèvement dans la dernière image montrant deux pylônes électriques plantés comme des points d'interrogation sous un ciel froid et vide. Un très grand film."
"Un «mauvais» petit diable. Une fillette. C’est Nathalie. Elle aussi, inaccessible et sournoise, griffes et crocs, violence tapie. Dans le c
"Un «mauvais» petit diable. Une fillette. C’est Nathalie. Elle aussi, inaccessible et sournoise, griffes et crocs, violence tapie. Dans le confort bourgeois de la maison, elle incarne le désordre — le refus de l’ordre qu’imposent les grandes personnes. Au cœur de la maison en marge, elle installe la violençe du monde alentour. C’est la présence de la petite Nathalie, dure comme un noyau, fermée comme un poing, qui donne tout leur sens aux échos que le bruit et la fureur du monde poussent jusqu’à la maison en marge — ce fait divers sanglant raconté par le poste à transistors, lë drame de cette Portugaise expulsée transmis par le téléphone.
A ce bruit, à cette fureur, le refus violent de Nathalie apparaît peu à peu comme la réponse exemplaire. Si l’on ne choisit pas le refus de Nathalie, on connaît l’échec pitoyable, l’anéantissement de ce commis voyageur paumé. Les mères, celle de Nathalie (Lucia Bose) et celle de Laurence (Jeanne Moreau), belles femmes mûrissantes comme des fruits, glissent du côté de Nathalie.
Nathalie peut alors, pour résister à la leçon de piano, saccager ses gammes. L’important, l’essentiel, le vital, c’est qu’elle invente sa propre musique. C’est le plus beau film de Marguerite Duras."
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