"... on sait déjà, presque trop vite, que ça fera trilogie, qu’avec Choses secrètes et les Anges exterminateurs, celui-là va une fois encore partir au feu. Les deux précédents épisodes n’avaient donc pas tout dit, ils n’avaient pas été aussi loin que ça (on le leur a pourtant reproché, d’aller loin) : ils avaient fait l’erreur d’en rester au plaisir, de s’en tenir à l’expression de vérité d’un visage au moment où il est dépassé par la vague qui le submerge.
La grande aventure d’A l’aventure, c’est de vouloir atteindre un arrière-monde derrière la jouissance, plus immense encore. Que la jouissance n’est pas la mort petite, chère à Bataille. Ni le vertige délirant du dire qui innervait la mécanique sadienne (même si de sadomasochisme il sera un petit peu question). Encore moins la jouissance pour la jouissance, le cul pour le cul, le plaisir hédoniste. Peut-être brûlera-t-on en cherchant du côté de l’hystérie, en embrayant le pas à Charcot.
Toutes ces propositions, Sandrine, Sophie, Françoise, Greg vont les essayer. On dirait des gosses à qui on a posé une devinette et qui vont jouer leurs réponses sur une scène. En enfilant le costume, en usant de dispositifs eux-mêmes usés jusqu’à la corde, pariant sur le cliché pour laisser advenir de la surface, de la platitude, un monde surnaturel. Alors, Brisseau laisse faire ses marionnettes, en espérant qu’elles aillent jusqu’au bout de la révélation, qu’elles atteignent la vérité. Il est à ce moment-là le dernier cinéaste à se souvenir que le cinéma est né la même année que la psychanalyse et les rayons X (sans jeu de mots !) et a donc toujours à faire avec l’hypnose.
Il est aussi, à ce moment, un grand naïf. Mais la naïveté de Brisseau est légendaire. Elle lui appartient en propre. Elle est le cœur de son cinéma (...) Depuis vingt ans, cette naïveté passe par un alliage d’enseignements tous azimuts, de sexualités essayées et de mystique plus ou moins avouée. Pas cette fois : la mystique reprend ses droits, elle est redevenue chez lui la vérité de tout. La lévitation, le chemin de la connaissance, nos vies avant nos vies sont l’aventure de la jouissance et son horizon : Cosmic Brisseau."
Philippe Azoury
