Autoproduction
"Nicola Sornaga tourne un film de fiction dans Paris et autour. Comme
ça, sans argent, avec une équipe réduite et enthousiaste la plupart du
temps. Dans son film, il y a ce vieux Japonais, M. Morimoto, qui ne
parle pas français et que Sornaga décrit comme un mélange "de Buster
Keaton, de Lao Tseu et de Droopy". On imagine que ça raconterait une
errance vaguement jarmuschienne. On verrait bien M. Morimoto faire un
passage chez Beckett, attendre Godot avec les autres. Et puis il y a
Virgil Vernier, qui fait un film sur ce tournage. Vernier filme Sornaga
qui filme Morimoto.
D'ordinaire, on appelle ça un making of,
ça tient sur le deuxième DVD d'une édition collector, au côté d'une
filmographie, et on ne le regarde pas jusqu'à la fin. Ici, on reste
volontiers dans son fauteuil jusqu'au bout. La première différence
entre ce film et un bonus DVD, c'est qu'on n'a pas encore vu le film de
Nicola Sornaga (M. Morimoto, présenté à la Quinzaine des
réalisateurs au dernier Festival de Cannes, mais encore inédit en
salles) lorsque l'on découvre celui de Virgil Vernier. La deuxième
différence est un corollaire de la première : on ne cherche pas dans Autoproduction à
savoir comment se comporte tel comédien lorsqu'il est hors-champ, s'il
sucre son café ou s'il fait des blagues avec l'équipe technique. Ici,
tout est inversé : les "stars" sont des inconnus et ce qui nous
intrigue en permanence, c'est d'imaginer comment Sornaga s'y prendra
pour les faire "entrer en fiction". Et l'on jubile quand on comprend
que ce qu'il y a d'histoire là-dedans, ce qu'il y a de narration,
réside bel et bien dans ce que ce film a de documentaire. Les aléas
d'un tournage sans budget font à eux-seuls un excellent scénario. En
plaçant sa caméra à quelques degrés de différence avec celle de
Sornaga, Vernier réussit à sonder cette zone trouble dans laquelle
réalité et fiction sont mêlées et finit par questionner en profondeur
ce qui, définitivement, nous rattache aux écrans de cinéma. Si le
cinéma traditionnel veut nous faire croire à la fiction comme à une
réalité, si le documentaire aspire le plus souvent à nous montrer que
c'est en fait la réalité qui est la réalité, ici on hésite à nommer ce
qu'on voit. C'est qu'on aurait bien aimé croire, enfant, à la vie comme
aventure perpétuelle, qu'on nous a dit que non, et qu'en fait, ici, eh
bien si ! Ce tournage est une aventure perpétuelle parce qu'il n'y a
pas d'autorisation de tourner, parce qu'il y a la police sur le parvis
de Notre Dame et que dans le cas où elle se pointerait, il faut s'être
mis d'accord sur l'alibi. Sur les rails rouillés de la petite ceinture,
il y a une mariée qui marche et sa traîne qui traîne dans la boue. Il y
a encore un poète en cuir, une prostituée et toujours ce Japonais qui
veut bien aquiescer lorsqu'on lui parle.
On pourra évoquer
Sornaga comme un mélange de Don Quichotte, de Gavroche et de Daffy
Duck. A l'écran, se débattant comme un beau diable, le jeune
réalisateur n'est plus une personne mais un personnage. C'est dû au
cadre, au montage et à nous devant. Mais c'est encore dû à la dimension
chevaleresque que prend ce tournage à chaque instant, quand c'est le
temps, le ciel et les frondes qu'il faut contenir."
Pierre Crézé
Un documentaire d'une drôlerie irrésistible. Des personnages attachants, une histoire d'aujourd'hui et un bel hommage à ceux qui essaient d'exister sans...
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