" Un jeune homme, « Belge » par hasard, entreprend la quête de ses racines juives polonaises et pour cela interroge sa mère qui, en langue yiddish raconte l'interminable voyage depuis la Pologne, au lendemain de la guerre, puis l'installation « provisoire » à Bruxelles.
Cette maison ordinaire et son atelier de coupe, sera, près de la gare, après beaucoup de havres identiques, le point d'ancrage du couple et de ses deux enfants. « Installés », les immigrés ne quitteront plus jamais ce quartier maussade, urbain et gris où ils connaissent depuis trente cinq ans une apparence de sécurité. Partis de rien, au prix d'infinies difficultés, unis par un amour pudique et sans faille, ils ont, grâce à une vie de labeur acharné, « réussi à s'en sortir ».
Sont-ils vraiment « installés » ? Ou, nomades malgré eux, campent-ils ici « définitivement », loin des campagnes polonaises, des champs vastes et des étables, toujours présents pourtant dans les souvenirs et les chansons que la mère, déracinée, psalmodie admirablement ?
De superbes photos nocturnes en noir et blanc ouvrent le film : nuits trouées de rares lumières. Pluies, réverbères. La caméra cadre le paysage ferroviaire, autopsie longuement la gare, ses quais, ses couloirs, ses salles d'attente, les trains qui s'arrêtent, se rangent, repartent.
Des images souvent fixes de la gare, aujourd'hui, évoquent l'errance d'hier en contrepoint du récit douloureux de la mère. Puis quelques séquences jouées viennent prendre la relève. Intimistes, sobres, elles évoquent, par de brèves saynètes, la vie difficile et ordinaire qui fut le lot de ces immigrés : la cuisine commune, le pain traditionnel qu'aucun boulanger ne voudra cuire, le travail clandestin, la conquête difficile de la carte de séjour et d'un statut.
Film très personnel et premier film d'un jeune réalisateur qui évoque ses origines tourné sans effets ni sentimentalisme mais avec beaucoup de rigueur et une profonde ferveur intérieure, Bruxelles transit (marqué par l'« école belge » — Chantal Akerman notamment ) parvient très vite à nous bouleverser.
Nous restons sous le charme d'images simples, quelquefois naïves, toujours belles. Cette halte dans un pays de hasard, cet ancrage d'une famille venue d'ailleurs, emblématique de la « diaspora » est rendue avec une rare efficacité et une absolue sincérite.
Voici l'un des plus authentiques témoignages sur l'immigration qu'il nous a été donné de voir sur un écran de cinéma. Une famille parmi beaucoup d'autres, isolée en terre étrangère et « étrange » apprenant avec difficulté une langue nouvelle mais conservant aussi son parler yiddish et sa culture fragile, une famille comme il en existe, à Bruxelles mais aussi à Paris (couturiers et fourreurs juifs et grecs du « Marais ») et ailleurs.
Dépassant le problème de l'ethnie juive, ce film pudique nous oblige à réfléchir à l'immigration en général, à toutes les immigrations. Un symbole : l'immigration aujourd'hui, dans ce quartier populaire et triste de Bruxelles est devenue majoritairement noire ou maghrébien.
A travers le récit banal de gens ordinaires et courageux, c'est le drame universel de l'immigration et de l'intégration difficile qui est exposé. On ne peut rester indifférent à ce film d'auteur, écrit à la première personne, réalisé par un homme qui brûlait de dire, de montrer, de faire partager et qui réussit pleinement dans son entreprise."
Christian Bosséno, janvier 1981