" Le titre italien de ce film en définit le sujet : Infanzia, Vocazione Prime Esperlenze di Giacomo Casanova, Veneziano. Luigi Comencini nous parle ici d'une enfance, d'une adolescence et d'une ville. Casanova a dix-sept ans quand le récit s'achève. Il vient de connaître le bonheur dans les bras de deux "anges" qui lui ont juré une "tendresse éternelle". Il ne veut pas plus du mariage que lui propose une chaste couventine que de la carrière ecclésiastique à laquelle ses précepteurs l'ont préparé. Il est ardent, entreprenant. Encore quelques mois d'hésitation, quelques aventures, et Giacomo deviendra Casanova.
Comencini et sa scénariste Suso Cecchi d'Amico se sont très librement inspirés des cinq premiers chapitres des célèbres Mémoires. Ils en ont condensé ou développé certains épisodes, ils en ont modifié l'ordonnance, mais ils n'en ont trahi ni le ton ni l'esprit. Mieux encore : soucieux de faire comprendre l'importance de Venise - du contact de la société vénitienne - dans la formation de leur petit " Veneziano ", ils ont intégré à leur récit un tableau de mœurs, une chronique de l' "air du temps" qui est un modèle d'intelligence et d'authenticité.
(...) Toujours allègre, avec ses ellipses, ses raccourcis, ses brusques embardées, le style de Comencini épouse celui de Casanova. Continuellement on passe de la drôlerie à la gravité, de la surprise au ravissement. Cocasse et cruelle est l'opération du père, évoquée dans le livre en trois lignes, et qui devient à l'écran une véritable comédie moliéresque. Poétique, le voyage de Venise à Padoue sur le burchiello, coche d'eau peuplé de musiciens, à l'intérieur duquel la mère de Giacomo joue, avant la lettre, la madone des sleepings. D'une pudeur charmante, la description du premier élan sexuel, de la première déception amoureuse du séducteur en herbe. Expérience qu'il oubliera d'autant moins qu'elle lui révèle à la fois l'inconstance des filles, la puissance (et l'hypocrisie) des prêtres et l'étrange manière dont on peut "exorciser" une possédée.
Casanova se trouve donc à Padoue. Il a décidé d'entrer dans les ordres, seule manière pour lui d'échapper à la pauvreté. Comme il est très intelligent, le bon Don Gozzi, qui enseigne au garçon les lettres et le violon, voit déjà dans son élève un futur cardinal. Cependant le temps passe, l'enfant grandit (...), et c'est le plus joli des abbés qui reçoit les ordres mineurs.
Commence la seconde partie du récit au cours de laquelle Casanova va changer de milieu et découvrir le "monde". Un monde sur lequel Comencini pose un regard ironique et qui est celui des riches bourgeois, des sénateurs dépravés, des courtisanes aux caprices inattendus, des filles de famille que l'on expédie dans des couvents où, la nuit, elles reçoivent leurs galants. Casanova est encore un peu tendre pour éviter tous les périls de cette jungle. Il trébuche parfois ou se ridiculise (...)
Parce qu'il nous offre une image vivante des conditions de vie et des rapports sociaux dans la Venise du dix-huitième siècle, parce qu'il est à la fois récit picaresque et voyage dans le temps, le film de Comencini n'est pas sans rappeler le Barry Lyndon de Stanley Kubrick. En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que ce qui sépare les deux films est ce qui sépare Reynolds de Longhi (à qui Comencini se réfère expressément dans la Visite au rhinocéros) : plus d'apprêt et d'élégance formelle chez l'un, plus de vivacité et de réalisme chez l'autre. À quoi on pourrait ajouter que Barry n'est qu'un fripon médiocre, alors que Casanova manifeste, dès ses jeunes années, une curiosité, une passion de la vie, un bonheur d'être, d'aimer et d'agir, qui, tout autant que ses exploits de séducteur, expliquent sa légende.
C'est le "génie" de Casanova, ce mélange - si bien accordé à l'esprit de son siècle - d'intelligence et de sensualité, de sincérité et de cynisme, de goût du plaisir et de moralisme, que Comencini laisse pressentir dans son portrait de Giacomo.
L'ouvrage est superbe, un des plus divertissants, des plus raffinés, des plus enrichissants, que nous ayons vus cette année."
Jean De Baroncelli, 09/12/1976