" Ça commence par une scène qui pourrait résumer, à elle seule, tous les films de Woody Allen. Dans le ciel de sa ville préférée apparaît soudain une vision (...) un avion qui trace quatre lettres, que les passants contemplent, éberlués : « HELP », Au secours (...)
Lee est un double de Woody. Et Kenneth Branagh l’interprète ainsi : même voix suraiguë, mêmes bégaiements, même rythme scandé de l’élocution. Comme par magie (celle que Woody affectionne tant), Branagh est devenu un avatar de Woody. Sa marionnette. Son ventriloque. Il est le Candide de service, notre guide dans le monde des célébrités qu’il va côtoyer. Au départ, ce serait un monde plutôt drôle… (...) Ça devient grinçant. Comme pouvaient l’être certains films de
Fellini (...) Ce n’est plus de Woody que Kenneth Branagh semble soudain le double, mais de Marcello Mastroianni dans
La Dolce Vita (...) A la fin, c’est simple, on s’attend presque à voir tous ces fantoches dérisoires se donner la main et défiler sur une musique de Nino Rota, comme dans
Huit et demi.
Alors, on s’aperçoit que ce film, que l’on avait cru d’abord léger, puis grinçant, est l’un des plus noirs que Woody ait tournés (...) Un monde à donner le frisson. Peuplé de sculpteurs nuls, baptisés « Michel Ange de Manhattan ». De Prix Nobel de littérature qui, gentils et talentueux, n’hésitent pas à s’approprier, pour un supplément de gloire, un livre qu’ils n’ont pas écrit. Pas de pitié pour les faibles (...)
Certes, dans cette noirceur, Woody déploie une lucidité sans faille devant les faiblesses humaines. Mais s’y cachent aussi la dérision et l’ironie d’un Tchekhov. Un dîner d’anciens copains de lycée qu’il retrouve empâtés et moumoutés, et c’est le temps qui, soudain, tombe sur les épaules de Lee. Désormais, il ne veut plus rien rater de l’instant, puisqu’il s’est rendu compte que le temps aura raison de lui comme des autres."
Pierre Murat