«Diviser pour régner» telle devait être la devise du gouvernement sud africain en 1948 lors de la promulgation des lois d’apartheid, les Blancs d’un côté (quatre millions six cent mille), les quelques vingt millions de gens de couleur de l’autre, divisés en «classes» : Noirs, métis, Indiens, Jaunes, jouissant, si l’on peut dire, de statuts différents. Classification souvent remaniée, quelques mille passages s’opèrent chaque année et reposant sur des critères fort peu scientifiques. Par exemple, si le crayon passé dans une chevelure tombe, vous êtes blanc, s’il y demeure vous êtes noir. C’est pour l’ivrogne, qui, dans le film, incarne le racisme et la sottise, la preuve évidente que les cheveux lisses et longs des Blancs correspondent au niveau élevé d’intelligence de la race...
Ceci entraîne des situations extravagantes et douloureuses à l’intérieur des familles. Robert, 91 ans, fils d’un métis et d’une Allemande, a épousé en première noce une Française dont il a deux fils. Ils ont tous été blancs jusqu’en 1948. Là, le fait que Robert se soit engagé, lors de la guerre de 1914, dans un bataillon métis le fait basculer dans la négritude et rejeter par ses fils demeurés blancs... Il vit avec une Noire, Dorris qui, fixée depuis cinquante-cinq ans dans le même quartier, se souvient avec une nostalgie souriante de l’époque où toutes races mêlées, les gens étaient bons voisins et heureux. Par miracle, malgré de nombreuses pressions, ce vieux couple, tendrement uni, a pu garder sa demeure.
L’art de Yolande Zauberman est d’avoir choisi et su diriger ces vieillards chaleureux, sympathiques. C’est aussi d’avoir su utiliser une certaine lenteur de rythme qui permet d’explorer les lieux, tel le long travelling qui montre les aspects de zone des quartiers noirs, les HLM des métis, la blancheur vive des résidences des Blancs qui éclate dans les tons pastels que Yolande Zauberman a choisi pour l’ensemble du film.
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Jacqueline Lajeunesse, n°443, Nov.1988