Présenté ce soir, Fort Saganne, réalisé par Alain Corneau retrouve un parfum d’aventures magnifiques dans ces fameux sables blonds et chauds qui font les héros du désert comme du cinéma. Il y avait si longtemps qu’on n’y était pas revenu ! Heureusement, dans l’histoire du cinéma, rien ne lasse, rien ne casse, rien ne passe, puisque nous voilà revenus aux classiques de nos chaumières où plane encore le souvenir du superbe légionnaire de la Bandera, un Gabin inoubliable. Et comme à Cannes on est aussi midinette qu’ailleurs, on se réjouit bien sûr de découvrir maintenant Gérard Depardieu sous les traits du bel officier du désert dans le rôle du lieutenant Saganne.
Paysan de l’Ardèche démangé par l’envie de courir les horizons perdus, Saganne, devenu officier, s’en va battre l’homme bleu qui résiste aux Français, dans le Sud saharien, jusqu’à ne plus pouvoir s’en passer, comme s’il avait le désert au ventre. Incroyable aventure dans l’histoire, tirée du roman de Louis Gardel, mais au tournage également. Parachuté à 500 km de Nouakchott, à deux heures d’avion de la capitale mauritanienne, les comédiens, l’équipe, les appareils, l’eau, les victuailles, les décors, la moindre épingle à nourrice devraient être amenés par avion, car il n’y avait rien dans les dunes où se tournaient les exploits du lieutenant Saganne, pas même le fort qui y fut construit pour l’occasion. Coût total de l’opération : 5 milliards de centimes. Rien d’étonnant. Un tel vent de folie a son prix et jamais production française n’a connu pareille expédition : « Le désert peut rendre fou », dira Depardieu au retour. « Au début, on a du mal à s’adapter. Pour Saganne, c’est pareil. La seule chose à faire, c’est d’imiter le chameau, ne rien faire. Vous pouvez toujours le rouer de coups, c’est lui qui décide de son mouvement. Le désert, comme lui, on ne peut pas le prendre à rebrousse-poil, sinon il vous grille, mais peu à peu, on comprend sa mystique.»
La vie de Charles Saganne est pleine d’aventures au-delà du désert, qui en fit un personnage célèbre à la veille de la guerre de 1914. On retrouve autour de Gérard Depardieu, Philippe Noiret dans le rôle du colonel Dubreuilh, Catherine Deneuve dans celui de la journaliste follement éprise de Saganne, et Sophie Marceau en ingénue romantique.
Le plus cocasse, c’est que toute l’entreprise de ce tournage épique est l’œuvre d’une femme. Côté héros, que l’idée de réaliser Fort Saganne soit venue à l’esprit d’une femme, le phantasme paraît naturel. Côté production, on imagine à la tête d’un tel projet, un nabab type hollywoodien, rassurant par son profil ventru réhaussé du cigare imposant qui donne la cote de son immense disponibilité de fond.
Anne de Gasperi, 11/05/1984