Je veux être actrice s’embarque dans une exploration de l’acteur salvatrice. Pas de grand débat ou de choix cornélien entre tréteaux et plateaux de cinéma. Au contraire, le nouveau documentaire de Frédéric Sojcher ( Cinéastes à tout prix) réconcilie la grande famille des comédiens et au passage, la sienne (...)
La forme s’avère surprenante. Elle gratte un peu au premier abord avec une introduction dans laquelle une gamine joue les stars. Pendant cette longue séquence d’essayage de boucles d’oreille étoilées et alors que le générique déroule lui aussi un casting de prestige gros comme une soirée des césars, la situation horripile. Mais l’impression d’être coincé dans un de ces rituels de l’intime qui suscitent l’enthousiasme à la télé-réalité ou sur You tube, est vite réfutée par un angle créant un tierce point de vue entre celui du sujet et du spectateur-voyeur (...) ce qui s’annonce comme un film pédagogique à la première personne, va déraper vers un journal filmé pluriel déployant durant son tour de piste, un large éventail de jeux du théâtre sans jamais perdre la grâce du je de l’autofiction.
Dans l’entreprise casse-gueule qui consiste à mettre en scène sa vie et ses proches, Frédéric Sojcher ne manque pas d’autodérision. Cela ne surprendra pas les habitués du cinéaste belge évoluant entre fiction et documentaire, pas plus que les lecteurs de son Manifeste du cinéaste qui mélangeait déjà l’analyse subjective à la pratique objective d’un métier passionnant mais parfois douloureux. Un parcours sinueux peuplé par une galerie de comédiens qu’il tire de son chapeau pour épater sa Shirley Temple en herbe.
Ils sont tout autant les hérauts de son œuvre que des proches hantant son passé, spectres d’une carrière qui ne compterait « que » 10 courts métrages et quatre longs métrages à ce jour, dont Climax ( 2009 avec Patrick Chesnais ), Hitler à Hollywood ( 2001 avec Micheline Presle et Maria de Medeiros ou Fumeurs de charme ( 1985 avec Michael Lonsdale ). Revisiter leurs métamorphoses à partir d’extraits de ses propres films relève de l’exorcisme d’un rêve de gosse réapparu sous l’impulsion du désir de sa fille de devenir un jour comédienne. Chez Sojcher, c’est toujours faire des films à tout prix ! L’Auteur poursuit peut-être aussi ses propres questionnements sur la nature ambivalente des comédiens. Après tout, il est porteur de cette même schizophrénie créatrice qui le fait à la fois enseignant ( à la Sorbonne ), théoricien et auteur-cinéaste. Sa réflexion se coule dans un roman d’apprentissage, bombardant sa fille comme comédienne principale d’un film qui reste documentaire mais la rend pleinement actrice de son existence. Car Nastasjia est amenée à évoluer sur la scène des adultes. Pire encore, dans ce monde des comédiens – tous « bigger than life » – et qu’elle doit convaincre de sa légitimité. Pour accompagner l’introspection, le cinéaste glisse ça et là des captations sur scène, mais aussi des cours de théâtre filmés montrant l’actrice en formation ou encore des souvenirs de famille.
Le déroulement du récit résulte ensuite d’une cartographie parisienne, à la fois théâtre des opérations et communauté de vie à laquelle appartient désormais, au moins à mi-temps, la famille Sojcher. Ainsi, la tour Eiffel ne cesse d’apparaître comme un leitmotiv à l’étranger résident en France, point central aimantant les allées et venues des exilés bruxellois. Les lieux permettent aussi à l’occasion d’entretenir une dialectique avec les textes et références cités. Par exemple, sur un bateau mouche où il en fait des caisses, Yves Alfonso évoque Michel Simon en figure tutélaire, devenant à son tour un émouvant père Jules pour Nastasjia. Le plus important de ces lieux est hautement symbolique : la Comédie française. Là, le très beau plan dans un couloir bordé par les statues anciennes, montre la progression que grand-père, père et fille effectuent avec ce nouveau film, les bustes de marbre ramenant le spectateurs aux témoins rencontrés ici, tous prima donna : Patrick Chesnais et sa famille, le comique Jean-François Derec, la marraine Micheline Presle, François Morel, Michael Lonsdale, Philippe Torreton, Jacques Weber, Denis Podalydes, pour ne citer que la fine fleur de la distribution.
Les confessions se succèdent : l’histoire d’un prénom, repiqué à la belle Nastasjia Kinski disparue prématurément des radars. Nom de baptême doublement difficile à porter car pénible à orthographier pour les critiques de cinéma ou les attachés de presse ! En off, la gamine à la détermination décidément inébranlable, prend le spectateur pour confident, rétif puis compréhensif vis à vis d’un travail de sape qui met en danger sa certitude juvénile par la rencontre avec l’instabilité permanente qui caractérise le métier d’acteur. Patrick Chesnais avouera devant la caméra « J’ai du mal à jouer la joie… », révélant sa fragilité pour mieux nous émouvoir (...)
En prêtant l’oreille à chacun, la caméra ne perd pas une miette des réactions de son héroïne. L’observation débute par la prédisposition de l’enfant à jouer pour achopper sur sa difficulté à reproduire ce qu’il ignore, ce qu’il ne peut pas être, n’ayant pas encore de masques à retirer. La mise en scène hésite constamment entre direction de personnages arrachés au réel pour être grimés en Scapin d’un jour et ces comédiens saisis de façon naturaliste en pleine introspection, sondant leur art, leur métier, leur condition ( « On est comme des enfants » ).
Il fallait trouver ici un passeur. Ce sera Jacques Sojcher, le grand-père philosophe qui lui aussi a toujours souhaité jouer la comédie, se réalisant ponctuellement chez André Delvaux ou Claudio Pazienza avant que de choisir l’enseignement en alternance avec l’écriture. C’est donc à dessein qu’il cite Nietzsche en devise ( « Deviens ce que tu es » ) puisqu’il est vite question de mettre le cap vers la réalisation de soi, la construction : « on joue, on apprend, on sait pas et c’est pas grave »…
Pierre Audebert