"Comme à son habitude, Claude Chabrol brosse le tableau ironique et balzacien de la société provinciale d’aujourd’hui : le mélange d’aisance, de tradition et de vague dégénérescence des vieilles familles dont la richesse et la puissance remontent au moins au temps de Balzac ; les bordels plus ou moins clandestins qui aident à l’équilibre des notables, à la stabilité des familles et au maintien d’une façade sociale respectable ; les mœurs et intrigues de pouvoir dans le milieu de l’édition et de la télévision ; la lutte des classes qui perdure sous d’autres formes… Chabrol dépeint tout cela avec sa vivacité, son humour et sa précision de trait coutumiers, mais ce coup-ci l’ironie sociale passe au second plan ; ce qui compte vraiment, ce qui fait la densité, la puissance, la charpente de ce haut cru Chabrol 2007, ce sont les personnages, leur épaisseur, leur complexité, leur poids de tragique. Les trois principaux protagonistes se débattent, souffrent, ne sont pas réductibles à une seule facette ou à une qualité évidente de “bon” ou de “vilain”, et insufflent à ce film un centre de gravité qui s’était quelque peu évaporé des derniers Chabrol.
Prenant de bout en bout, La Fille coupée en deux, c’est Chabrol à son meilleur, ramassant et concentrant toute la généalogie de ses influences (le roman français et le roman de la France, le cinéma américain, le recul cinéphile, les rôles précédents de ses acteurs…) pour les mettre au service du film en train de se faire, et surtout ne cédant pas trop facilement à sa pente caustique naturelle : les meilleurs Chabrol sont ceux où son regard goguenard et rigolard ne prend pas le dessus sur sa complexité psychologique et sa rigueur de moraliste. Cinéaste parfois coupé en deux entre sérieux et farce, tragique et grotesque, il réussit ici à équilibrer parfaitement ses deux tendances, à brosser à la fois trois portraits de personnages passionnants et un tableau de la société lyonnaise contemporaine. Sous des dehors classiques, un film magistral."
Serge Kaganski