La Playlist UniversCiné de Stéphane Lafleur
VIDEO | 2015, 11' | Le réalisateur de Continental, En terrains connus et Tu dors Nicole vous présente six auteurs1
Est-il l'idiot du village ou un génie compromis ? Noï, 17 ans, vit à la dérive dans un fjord d'Islande. Son rêve : s'évader de cette prison blanche, avec Iris.
Est-il l'idiot du village ou un génie compromis ? Noi, un adolescent de 17 ans, vit à la dérive dans un fjord reculé du nord de l'Islande. En hiver, le fjord est coupé du monde extérieur, cerné par des montagnes menaçantes et enseveli sous un linceul de neige. Noi rêve de s'évader de cette prison blanche avec Iris, une fille de la ville qui travaille dans une station-service. Mais ses maladroites tentatives d'évasion se succèdent et échouent lamentablement...
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" Après avoir raflé l'essentiel des prix des festivals européens où il a été prés
" Après avoir raflé l'essentiel des prix des festivals européens où il a été présenté, à Rotterdam, Angers, Göteborg, Nói Albinói parvient enfin sur nos écrans. La beauté étrange et fragile de ce premier film islandais tient d'ailleurs à ce côté trop doué pour être vrai, puisque Nói pousse si loin son caractère de génie qu'il passe aux yeux de la plupart pour un demeuré total. C'est l'histoire du personnage du film de Dagur Kari : il règle mat un match d'échecs en trois coups, aligne le Rubik's Cube selon les bonnes couleurs en trois minutes, fait exploser tous les barèmes du QI, mais sera quand même viré du lycée pour «mauvais exemple», «absentéisme répété» et «indiscipline chronique» aux deux tiers du métrage. Car Nói n'est pas seulement un grand adolescent albinos et imberbe, mais un monstre que personne ne peut comprendre, provoquant la stupeur sur son passage, un précipité d'angoisse entraînant des réactions catastrophiques en chaînes, un alien émergeant des tripes gelées de l'Islande qu'aucun habitant du bourg perdu de Bolungarvik ne pourra jamais appréhender ( ) Tout est ainsi décalé, le moindre geste, la plupart des répliques, et le film se construit comme une farce, jamais lourde cependant, divisée en courts tableaux hilarants qui font penser au Moretti des débuts (Je suis un autarcique ou Ecce Bombo, par exemple) ou au Suleiman de Chronique d'une disparition.
Mais la farce est terrible, car rien ne peut venir la clore ou en adoucir l'aigreur. Dagur Kari pratique une forme extrême de comique désespéré, que renforcent encore les accords déchirants et mélancoliques de son propre groupe de pop (qui a autoproduit la musique du film), et l'apparence troublante de son acteur principal, un copain de lycée d'origine française, Tómas Lemarquis, les yeux bleu acier, la peau translucide, le crâne lisse, un croisement génétiquement élaboré du cancéreux, de l'ado rebelle et de l'être venu d'ailleurs. Indéniablement, il est la trouvaille première du film, et son corps à la fois explicite et mutique est une révélation.
La principale vertu de Nói Albinói est son sens du retrait, de l'ambiguïté : aucun des mystères n'est levé, aucune des questions résolue. Dagur Kari cultive avec finesse la suspension du sens. On ne saura jamais, effectivement, si Nói est un surdoué ou un débile, si le titre du film veut dire «Nói l'albinos» (comment on pense le croire) ou pas, ni si la jeune femme qui le regarde, le suit, le borde, fume avec lui, l'embrasse même, est amoureuse, ou si le philosophe lit du Kierkegaard ou un quelconque imposteur venu du froid. La seule et unique chose que l'on saisit, avec évidence, c'est que, lorsque tous les éléments mis en place par Dagur Kari se croisent, le film devient littéralement stupéfiant. Nói abattant d'immenses stalactites de glace avec son fusil, lançant des pierres dans une mer resplendissant d'un soleil d'été irréel, courant avec ses immenses foulées le long de la montagne, ou enfermé dans un trou noir final éclairé d'un seul briquet usé. Il y a dans Nói Albinói des moments qu'on n'a jamais vus et qu'on ne reverra pas : Dagur Kari redonne le sentiment que le cinéma peut encore surgir à tout instant d'où on ne l'attend plus. »
" C'est un tout petit monde, parfaitement clos par la mer d'un côté, les montagnes de l'autre. A l'int&ea
" C'est un tout petit monde, parfaitement clos par la mer d'un côté, les montagnes de l'autre. A l'intérieur, Dagur Kari dessine une espèce de spirale qui va s'élargissant, de la maison familiale à la ville, puis à la nature austère qui l'entoure. Chez lui, Nói fait des bêtises qui procèdent plus de la maladresse que de la mauvaise volonté. Parfois il se cache dans un petit réduit sous le plancher de la maison. Jamais le nom ni le sort de celle qui lui a donné le jour ne seront évoqués, l'idée maternelle passe exclusivement par cet espace confiné et protecteur.
A l'école aussi Nói fait des bêtises, cette fois par goût du désordre. (...) Dagur Kari se laisse aller à la satire sociale avec un bonheur certain : le désarroi du proviseur, la sollicitude inquiétante du psychologue chargé d'évaluer le cas Nói donnent lieu à de brèves scènes de genre dont la plus réussie est sans doute le cours de français. Là, un professeur désespéré tente d'attirer l'attention des élèves en leur révélant les secrets de la confection de la mayonnaise.
En ville aussi, Nói fait des bêtises. Il courtise la fille de l'épicier, tente de réunir assez d'argent pour fuir le village par des moyens de moins en moins licites, et ses tentatives de passer du monde de l'école à celui du travail ne lui réussissent guère. Dans une des plus belles scènes du film, on le voit passer sa frustration en bombardant de cailloux un rideau de stalactites de glace. Cette séquence exprime la séduction la plus immédiate de Nói Albinói, cet effet d'exotisme maîtrisé qui permet à Dagur Kari de parcourir un chemin qu'ont déjà suivi des centaines de cinéastes (...) comme s'il s'ouvrait pour la première fois."
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