"Un fils ne semble pas le titre le plus adapté. En fait, ce premier long-métrage de Mehdi M. Barsaoui vient parler de la difficile présomption de paternité, mise à l’épreuve par un test génétique. Le long-métrage s’ouvre sur une page de bonheur absolu. Le soleil inonde le parc où des amis se réunissent. Ils représentent la nouvelle classe moyenne supérieure de la Tunisie. Ils ont réussi, boivent de l’alcool, et se moquent gentiment de l’imminence de l’arrivée au pouvoir des populismes religieux. Mais bien sûr, le bonheur est de très courte durée. Farès et Meriem décident de passer un week-end en famille à Tataouine, mais leur projet est brutalement interrompu par un attentat qui porte atteinte très grièvement à leur fils.
Une fois passée cette première séquence de pur bonheur, le récit se précipite dans une série d’évènements dramatiques qui vont transformer à jamais les trois personnages principaux. L’accablement du désespoir fait craindre le pire, mais le cinéaste parvient miraculeusement à ne jamais succomber au mélo et à l’invraisemblance. Au contraire, si le film décrit le pire qui puisse survenir à un jeune couple, à commencer l’atteinte quasi mortelle d’un enfant, la mise en scène très sobre, jamais larmoyante, engage le spectateur dans un combat intérieur profond où chaque personnage fait valoir son désarroi légitime. Il est impossible de condamner la mère ou le père. L’enfant, au milieu des deux, devient l’emblème d’une lutte éthique où chacun est amené à faire valoir sa vérité. Le médecin qui soigne le jeune blessé incarne peut-être le mieux la difficulté à identifier une solution qui tienne compte de l’intérêt suprême de l’enfant, tout en préservant les deux parents et en respectant les lois tunisiennes.
Un fils est une sorte de scène théâtrale où se jouent la complexité et l’opposition des points de vue. La Tunisie apparaît comme un pays tiraillé par ses référents idéologiques et religieux, dans un contexte où la science impose la mesure et l’adaptation des lois. Le corps médical est confronté à un véritable conflit moral intérieur qui l’oblige à faire en permanence des pas de côté. Il y a beaucoup d’intelligence dans ces dialogues qui éclairent une modernité qui peine à s’épanouir. Du coup, la déviance se niche dans les interstices d’un pays qui revendique officiellement le recours à la morale et au patriarcat, tout en laissant se développer une délinquance alimentée par la misère de la guerre. Mais Mehdi M. Barsaoui ne cède pas non plus à la facilité. Même ces comportements criminels qu’il décrit crûment, recèlent quelque part une once de légitimité, toutes proportions gardées.
Un fils oppose les collines verdoyantes de Tunis aux chemins pierreux et arides de Tataouine. Cette vision contrastée des paysages illustre parfaitement la fracture de la société tunisienne, qui annonce en creux, les révolutions de la jeunesse et l’avènement du fondamentalisme religieux. Le cinéaste soigne sa photographie. Il offre des paysages superbes, à l’inverse de l’épouvante qui entrave les parents. La mise en scène ne se perd pas dans les excès. Malgré le refus d’une démonstration émotionnelle, on ressent intimement la détresse qui broie le cœur de la mère et du père, tous deux confinés dans une vérité dont ils ne parviennent pas à s’extraire. Le film heureusement offre un dénouement positif qui rassure et allège le spectateur, tant les tensions éthiques animent le récit. Voilà donc un très grand long-métrage qui illumine le cinéma maghrébin et devrait faire parler de son réalisateur dans les années qui viennent."
Laurent Cambon