La carrière de Christian-Jaque, peu prisée des cinéphiles, a été toute entière consacrée au plaisir des spectateurs. Beaucoup de comédies nigaudes dans les années 30 (Le Père Lampion, La Famille Pont Biquet… et une série de gaudrioles sur-mesure pour Fernandel) suivies, le métier et la reconnaissance aidant, de projets de plus en plus ambitieux.
Il faudrait revoir Sortilèges (sur un scénario de Prévert), drame teinté de fantastique tourné en hiver dans les montagnes d’Auvergne pendant l’occupation, ou l'étrange Singoalla (1950), légende médiévale dans les neiges nordiques. Le meilleur n’étant pas forcément là où se niche la grande ambition.
Certes, on jettera un voile pudique sur toute la production post années cinquante (pour les amateurs de nanars cosmiques, signalons Les Pétroleuses, repris en cours de route, il est vrai, des mains de Guy Casaril dont la filmo est à 100% du pur navet bio, et Docteur Justice, sous-James Bond de supermarché –on peut les voir, tranquillement, à la télé).
Non, le Christian-Jaque qui procure encore bien des plaisirs est celui qui se met en quatre pour les acteurs (ceux cités ci-dessus) et pour les actrices, surtout celles qui devinrent ses épouses, notamment Renée Faure, et particulièrement Martine Carol, starlette propulsée sex symbol pendant quelques années.
Pour elle, il met en place de colorés et savoureux feuilletons de luxe pour grand écran : Madame du Barry, Nana, Lucrèce Borgia, Nathalie agent secret. Du cinéma coquin, de la bande dessinée rigolote déguisée en superproduction. C’est aussi pour des barbe à papa comme ça qu’on aime le cinéma.
L'une de ses dernières vraies réussites date du début des années 60, lorsqu'il oppose dans un cynique jeu de dupes deux vieux renards (Pierre Brasseur et Bourvil) et deux magnifiques "ingénues" (Marina Vlady et Virna Lisi) pour un suspense très classique et très efficace dialogué par l'inusable Henri Jeanson. Une sorte de summum de "cinéma du samedi soir" qui dut, en 1963, donner quelques boutons aux jeunes ambitieux de la Nouvelle Vague mais qui tient encore sacrément bien le coup.
Philippe Piazzo
Tout sur Christian-Jaque dans le très universitaire, très complet, et très attractif numéro 28 (octobre 1999) de la revue 1895. Interviews, témoignages, reproduction d’affiches, articles sur Christian-Jaque et les femmes, ses liens avec la comédie Française, sa position pendant l’Occupation… et de brèves critiques sur 34 de ses films.