" … était-il indispensable qu'ayant à traiter un sujet difficile, Carmen, M. Christian-Jaque ait voulu en traiter deux : celui de l'opéra-comique et celui de la nouvelle dont chacun sait qu'ils sont assez différents l'un de l'autre.
C'est par l'opéra-comique que M. Christian-Jaque commence... Sans doute à cause de la musique et du coeur, devenu populaire, des gamins : Avec la garde montante...
Ce qui nous vaut une relève de la garde facilement plus spectaculaire que celles dont s'enorgueillissent les théaâtres les plus richement subventionnés, l'escouade de dragons à pied à laquelle ceux-ci nous ont habitués étant remplacée par au moins un escadron à cheval avec trompettes et timbales – c'est beaucoup de monde pour un simple poste de police à l'entrée d'une manufacture de l'Etat – qui parcourt à grand renfort de fanfares tout un quartier de Séville : c'est le premier « morceau de bravoure » du film. Ce ne sera pas le dernier.
Après ce défilé, ont on peut bien dire sans manquer de respect aux figurants qu'il est un peu long, l'action s'engage, et M. Christian-Jaque, il faut lui rendre cette justice, la mène bon train, comme s'il se rendait compte qu'il a du temps à ratrraper et qu'il nous doit une compensation, et les épisodes familiers se succèdent : altercation de Carmen avec une de ses camarades cigarières à propos de don José, à qui elle vient de lancer un oeillet, arrestation et évasion de la gitane facilitée par la complicité de don José... Tout le premier acte de l'opéra-comique y est. Il n'y manque que Micaëla – bravo, monsieur Christian-Jaque !- et la fameuse séguedille : L'Amour est enfant de Bohème... Que vont dire les amis de Bizet ? Mais M. Christian-Jaque a voulu que sa Carmen ne soit pas une chanteuse et il a eu bien raison...
Avec l'intervention des contrebandiers qui apparaissent lorsque le premier acte est fini, le film s'écarte résolument de l'opéra-comique – on ne saurait assez l'en féliciter – pour se rapprocher de l'oeuvre de Mérimée et du même coup du cinéma...
C'est dans ces scènes auxquelles la sierra sert de cadre - une sierra qui n'a pas toujours la rudesse à laquelle on s'attend- que M. Christian-Jaque a mis le meilleur de son talent et de son goût, notamment quand il s'est agi de varier l'atmosphère dont ces scènes doivent être enveloppées, et on ne saurait, à ce sujet, assez admirer l'art avec lequel il a su composer les images qui constituent le dernier épisode du film : la mort de Carmen parmi les rochers autour desquels se déchirent les voiles de brume, images remarquables non seulement pour leur valeur plastique , mais encore pour l'espèce d'étouffement qu'elles imposent au spectateur en même temps qu'aux personnages qui en sont le centre. Morceau de bravoure encore certes – comme l'attaque de la diligence, comme la course de taureaux – mais morceaux de bravoure que l'on excuse, car ils sont autant d'exercices au cours desquels M. Christian-Jaque a non seulement déployé une virtuosité dont bien peu de ses confrères seraient capables, mais encore montré qu'il mérite d'employer son grand talent à autre chose qu'à adapter des opéra-comiques, même s'il s'agit de chefs-d'oeuvre (…)
… Viviane Romance, à qui ses admirateurs les plus fanatiques ne pourront dire que ce film lui a valu sa meilleure création.
Mme Viviane Romance aurait pu penser à toutes celles qui, avant elle, ont subi le charme de Carmen – car de Pola Negri à Raquel Meller, en passant par Dolorès del Rio, elles sont nombreuses celles qui ont animé sur l'écran la gitane mériméenne et à qui cette résurrection n'a valu que déceptions... Raquel Meller avait au moins le mérite d'être Espagnole et de le paraître. Mme Viviane Romance n'est peut-être pas de Montmartre, mais la Carmen qu'elle nous présente est une Carmen de la place Pigalle ou, si vous préférez, une Carmen de music-hall, qui ne se recommande que par son manque d'autorité et par le caractère agressif de ses faux-cils..."