En Pologne, où il travaille depuis dix ans, Jerzy Kawalerowicz n'est pas un inconnu et a déjà connu des succès. En fait, il n'est pas seulement un réalisateur-auteur, il est aussi l'un des principaux artisans de la reconstruction, après la guerre, du cinéma polonais.
En effet, avec Andrzej Munk (1920-1961), Wojciech Has (1925-2000) et Andrzej Wajda (né en 1926), Jerzy Kawalerowicz (1922-2007) fait partie d'une génération identifiée comme la première "Nouvelle vague polonaise", qui épate la toute jeune cinéphilie française du tournant des années 60.
Son œuvre est enracinée dans un système et dans une histoire.
Elle est pourtant celle d'un cinéaste indépendant, voire, sous des apparences parfois éclectiques, celle d'un auteur.
La formation
D'origine arménienne, il nait le 19 janvier 1922,à Cwozdziec, une petite ville de Galicie, région frontière entre la Pologne et l'Ukraine.
Cette même année, 1922, se termine avec l'assassinat, le 16 décembre, du premier président de la République de Pologne (il en fera un film Mort d'un Président), et, le 30 décembre, la création de l'URSS.
Il a 17 ans quand éclate la Seconde Guerre mondiale et que l'URSS récupère l'Ukraine. Sa famille se réfugie à Cracovie. Le jeune homme y connaît la résistance à l'occupation allemande. Il ne reprend ses études interrompues qu'après 1945, à l'Académie des Beaux-Arts et au tout nouvel Institut du cinéma, préfiguration de la prestigieuse École nationale de cinéma de Lodz qui ne verra le jour qu'en 1948.
De 1947 à 1951, il apprend le métier, comme assistant-réalisateur (avec même des apparitions comme acteur, non créditées), pour des films, qui, tous, sortent en France au même moment. Citons plus particulièrement La Dernière Étape, de Wanda Jakubowska. À partir de 1951, à 29 ans, il devient son propre maître et dès lors, sa vie se construit dans le monde du cinéma.
Sa célébrité mondiale vient de son œuvre. Mais, loin des projecteurs, en Pologne, il est un des acteurs majeurs de la construction "d'un des meilleurs systèmes de production pour la création de films d'auteurs en Europe de l'Est".
Le producteur
Après la guerre, les diverses instances de production se sont regroupées dans la Film Polski sous un très sévère contrôle gouvernemental. Après la mort de Staline, en 1953, un dégel s'amorce, et Film Polski crée une demi-douzaine de petites unités de production. Kawalerowicz est à l'origine, en 1955, de l'une d'entre elles, la célèbre Zespol Filmowy "Kadr", dont il en restera le directeur artistique jusqu'à sa mort, en 2007 (sauf dans la période de turbulences 1968-1972, au cours de laquelle, il est en conflit avec les autorités communistes).
Le premier film produit par la Kadr, c'est le premier long métrage de Andrzej Wajda : Pokolenie (Une génération). Jusqu'à nos jours, la Kadr produit les films de jeunes réalisateurs polonais, découvertes des festivals mondiaux, mais très peu distribués en France. Avec, à partir de 1972, la production de séries télé, la Kadr a à son actif, plus de 150 films, avec des projets pour 2013.
Kawalerowicz est aussi l'initiateur et le co-fondateur, en 1966, de l'Association des cinéastes polonais, dont il est le premier Président (jusqu'en 1978). Plus tard, il enseigne à l'École de Lodz. Il est un personnage-clé du cinéma polonais, tout spécialement au tournant des années 60 que les historiens s'accordent à considérer comme les "années de vaches grasses".
Le politique
Politiquement, Kawalerowicz appartient au 20e siècle polonais des intellectuels antinazis. En 1954, il adhère au Parti Ouvrier unifié polonais, et en reste membre jusqu'en 1990.
Quand Solidarnosc surgit, en 1980, il est réticent, notamment devant son catholicisme affiché, et d'autant plus que ses projets cinématographiques (Quo vadis ?) en pâtissent. En 1983, il signe un manifeste hostile aux cinéastes qui lui sont favorables, ce qui l'amène à une rupture avec Zanussi et Wajda. Entre 1981 et 1983, Il est membre du Présidium du Comité national du Front d'unité nationale. Entre 1985 et 1989, il est député élu à la Diète.
Il n'a jamais fait de film de propagande. Mais il est sûr qu'il n'est pas un dissident. Il incarne une sorte d'apolitisme de l'Est, avec illusion, ni sur le capitalisme du monde occidental, ni sur le marxisme d'État. Actif et responsable à l'intérieur des frontières de la Pologne du bloc communiste, et d'un tempérament diplomate et pacifique, il a le profil idéal pour être l'ambassadeur de l'ouverture à l'Occident, en un temps où les films étrangers du Festival de Cannes sont des délégations des autorités polonaises, donc des vitrines officielles.
Son œuvre et son parcours lui valent honneurs et récompenses nationales et internationales (prix dans les festivals du monde, mais aussi décorations polonaises, nominations honoris causa notamment à la Sorbonne (en 1998), etc. Il a son étoile sur la Piotrkowska, "the walk of fame", à Lodz).
L'artiste
Son œuvre n'est pas pléthorique. Il ne réalise que 17 films en cinquante ans, avec de longues périodes d'éclipses, certains sont moins inspirés que d'autres, certains sont mésestimés par la critique, beaucoup ne bénéficient que d'une sortie nationale ou, au mieux, "régionale" (Europe de l'Est).
Kawalerowicz affirme n'avoir aucun credo artistique, et son style évolue au long de sa carrière. Mais il y a des constantes dans ses préoccupations, qui tiennent essentiellement dans le fait qu'il maitrise chacun de ses films en écrivant lui-même le scénario, seul ou en collaboration, le plus souvent à partir d'un fait-divers d'actualité ou d'une œuvre littéraire polonaise.
En fait, c'est peut-être cette œuvre au sang mêlé qui parle le mieux de l'état de la Pologne en son temps, comme le feraient les sédimentations d'un carottage de l'histoire.
Il disait : "Trois thèmes surtout m'intéressent : le grand amour, la grande joie, la grande politique. La tragédie, le drame m'attirent. La Mort d'un président, par exemple, a vraiment la dimension d'une tragédie grecque. Je suis contre tous les films qui ne sont que des illustrations. L'art, on ne peut jamais savoir où il commence."
Jerzy Kawalerowicz meurt le le 27 décembre 2007 à Varsovie, la même année que Bergman et Antonioni.
Dans les panégyriques, on loue son rôle-clé dans la fondation de la cinématographie polonaise moderne, ainsi que son talent de directeur d'acteurs. On le déclare devenu un auteur "classique", mot polysémique. Dans son cas, il pourrait désigner un parcours et une œuvre typiques, auxquels on peut se référer pour comprendre une époque.
On peut dire qu'au long de sa vie, il a cherché son chemin, sans jamais se renier lui-même ni chercher à plaire. Plus historien qu'utopiste, plus métaphysique que séditieux, il ressemble à son pays.
Quant aux dissenssions politiques, le temps a passé et il y a eu des relectures et des prescriptions. À ses obsèques, en janvier 2008, sont présents, notamment, à la fois le ministre de la Culture, et Andrzej Wajda, qui vient de réaliser Katyn.
Anne Vignaux-Laurent